Dans certaines traditions, être une fille est une calamité pour un couple, malheureusement, ce genre de pratique semble suivre même en immigrant au Canada. Certaines cliniques offres a leur clientes immigrantes la possibilité de savoir le sexe du bébé pour savoir si c’est une fille. Ces femmes subissent des pressions du mari, de la famille pour se faire avorter si c’est une fille et ce même si le foetus serait en santé…
Nuage
Sélection fatale pour les filles

ISABELLE HACHEY
La Presse
Fléau en Inde et en Chine, la sélection prénatale en fonction du sexe se pratiquerait au sein de certaines communautés immigrantes du Canada, notamment à Montréal, où une femme peut obtenir une échographie sans ordonnance médicale dans le seul but de déterminer le sexe d’un foetus de 12 semaines.
«À cet âge-là, oui, on peut avoir une idée du sexe.»
Une clinique d’échographie privée de la Rive-Sud de Montréal. La technicienne qui répond aux questions de sa cliente ignore que cette dernière est en fait notre collaboratrice, une jeune femme d’origine chinoise qui prétend être enceinte de 12 semaines – et qui veut s’assurer de donner naissance à un garçon.
L’objectif: vérifier s’il est possible d’obtenir une échographie dans le seul but de déterminer le sexe du foetus à un stade précoce de la grossesse, quand il est encore facile de l’interrompre.
Dans cette clinique du boulevard Taschereau, la technicienne offre à notre collaboratrice une échographie sur-le-champ, sans exiger d’ordonnance médicale.
«Je peux essayer de vous dire le sexe du bébé, si vous voulez. C’est possible, mais on n’est pas à 100%. On est à 70%, explique la technicienne. Je ne peux pas décider à votre place. Tout ce que je peux vous dire, c’est que vous pouvez le faire si vous le désirez. C’est faisable.»
Notre collaboratrice décline l’offre, prétextant vouloir revenir plus tard avec sa mère.
«Oui, mais vous avez encore deux semaines, prévient alors la technicienne. Après, vous ne pourrez plus vous faire avorter.» (1)
Un phénomène en émergence?
«C’est grave», confie la propriétaire d’une autre clinique d’échographie privée, située dans un quartier de Montréal à forte concentration d’immigrants d’origine asiatique.
«Il y a des gens qui entrent ici et qui disent: « Je veux juste savoir le sexe. » Cela arrive de plus en plus souvent, peut-être deux fois par semaine. Il y a toujours quelqu’un qui essaie. Ce qui nous protège, c’est qu’on a besoin d’une réquisition du médecin.»
Parfois, les clients insistent, ajoute-t-elle. À tel point qu’elle a dû intervenir auprès d’eux. «J’ai dit à la réceptionniste de nous appeler si elle avait des problèmes. Il y a des gens qui essaient de nous forcer, qui prétendent avoir oublié la réquisition… On refuse. Ici, on est vraiment stricts.»
Pourtant, quelques jours plus tôt, notre collaboratrice avait visité cette même clinique incognito. La réceptionniste lui avait expliqué qu’elle devait effectivement obtenir une ordonnance avant de prendre rendez-vous pour une échographie, la journée suivante.
Mais déterminer le sexe du foetus ne semblait pas être un problème. «À 12 semaines, vous pouvez encore avoir un avortement», lui avait murmuré la réceptionniste.
La pression du mari «Certaines femmes me supplient. Elles veulent absolument savoir. Quand je leur demande pourquoi, elles répondent que leur mari veut connaître le sexe du bébé», dit Doreen Haddad, propriétaire de la clinique UCBaby de Pointe-Claire.
Mme Haddad s’en tient à la politique de cette chaîne canadienne et refuse systématiquement une échographie aux femmes qui n’ont pas encore atteint 20 semaines de grossesse.
«Les femmes m’appellent à 12 ou 13 semaines. À ce stade, le bébé est tellement petit que même les médecins risquent de se tromper.»
Une semaine plus tôt, notre collaboratrice s’était présentée aux locaux de UCBaby. Mme Haddad l’avait entraînée à l’écart pour tenter de la convaincre de ne pas se faire avorter si elle portait une fille.
«Je te demande de résister à ta famille, à ta culture et de prendre ta propre décision», l’avait-elle suppliée.
La propre fille de Mme Haddad a été assassinée par son conjoint en 2004. Kelly-Anne Drummond avait 24 ans. Depuis, Mme Haddad donne des conférences sur la violence conjugale.
«Pour moi, ce n’est pas différent, explique-t-elle en entrevue. Les femmes qui m’appellent subissent des pressions. Elles sont harcelées par leur mari pour subir un avortement. C’est un abus contre les femmes.»
L’avortement sans limites
En Chine et en Inde, la sélection prénatale sur la base du sexe est illégale depuis près de 10 ans. C’est aussi le cas en Grande-Bretagne, terre d’accueil pour de nombreux immigrants asiatiques. Mais au Canada, rien n’interdit l’avortement sélectif des foetus féminins.
Aucune règle, non plus, ne dicte le moment où le sexe du foetus doit être identifié par échographie. Mais plusieurs médecins et hôpitaux refusent de le faire avant la 20e semaine de gestation.
En juin 2012, une équipe d’enquête de la CBC a visité 22 cliniques d’échographie privées en Ontario et en Colombie-Britannique. Les deux tiers ont accepté de procéder à un examen avant la 20e semaine. Cinq ont accepté de le faire aussi tôt qu’à la 14e semaine.
«Si ce phénomène existe, c’est qu’il y a un certain nombre de cliniciens qui ferment les yeux, c’est-à-dire qu’ils n’essaient pas de comprendre», dit Cécile Rousseau, pédopsychiatre au CSSS de la Montagne. Selon elle, le personnel des cliniques d’échographie et d’avortement doit être sensibilisé à la sexo-sélection, un phénomène né du choc des nouveaux moyens technologiques et d’une préférence traditionnelle pour les garçons dans certaines cultures. «L’avortement ne devrait jamais être un geste mécanique.»
– Avec la collaboration spéciale de Rachel Lau
(1) Contactée après la visite incognito, la clinicienne a d’abord soutenu exiger une ordonnance médicale avant de procéder à l’échographie. Confrontée aux faits, elle a ensuite affirmé qu’elle ne faisait que «donner une idée» du sexe du foetus, puisque ces tests ne sont pas fiables à 100%.
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