Le phénomène de chat sur le web est vraiment impressionnant. Il y a des millions de 100 millions de pages vue sur le Web que de chien. Il y a même un festival pour vidéo de chat dont une partie des profits vont a des organismes pour la protection des animaux.
Nuage
Comment les chats ont conquis l’internet

PHOTO ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE
« Grumpy Cat », en 2015
En mai dernier s’est éteinte la célèbre Grumpy Cat, reine des chats sur le web. Symbole peut-être de la fin d’un âge d’or, mais certainement pas de la fin du règne des chats sur leur royaume virtuel. Portrait d’un amour qui ne veut pas mourir.
VALÉRIE SIMARD
LA PRESSE
On les voit faire la moue, jouer les acrobates, chuter, animer une réunion en veston cravate ou philosopher sur le sens de l’existence. Encore, encore et encore. À une époque où les modes sont éphémères, celle des chats s’accroche à la Toile. « Y a-t-il plus de vidéos de chats ou de porno sur internet ? », demande un internaute sur Reddit, une plateforme qui héberge elle-même son lot de vidéos félines. Bonne question. Aucune étude ne semble (encore) s’être penchée sur le sujet.
« S’il y a un endroit où les chats sont rois, c’est bien l’internet », souligne le sociologue Fabien Loszach, coauteur du livre L’encyclopédie anecdotique du web, qui vient de paraître aux Éditions Cardinal. « L’internet, c’est un peu le parc à chats, illustre-t-il. Ce qui différencie véritablement la socialisation des amateurs de chats de celle des amateurs de chiens, c’est le parc à chiens. Pour les chats, il n’y a pas ça. C’est sur l’internet qu’on va partager des photos de chats, c’est là qu’on va rencontrer d’autres amateurs de félins. »
« J’ai toujours pensé que la raison pour laquelle les vidéos de chats sont si populaires est la même que celle pour laquelle les chats sont populaires », expose Will Braden, directeur du Cat Video Fest, un événement qui organise des projections de vidéos de chats dans de nombreuses villes, dont Montréal. « Nous les aimons, ajoute-t-il, mais ils veulent toujours être un peu distants, gracieux, ils pensent qu’ils sont trop bons pour tout, alors tout le monde s’amuse quand ils tombent. Si tu vois une vidéo d’un chat sur un tabouret qui essaie de sauter sur quelque chose et qui tombe, tu ris. Si tu vois la même chose avec un chien, tu dis : “Oh non, est-ce que le chiot est correct ?” »
Grumpy Cat et les autres
Au cours des années 2000, toute une culture web s’est développée autour des chats, donnant naissance aux « lolcats », des mèmes (généralement des images drôles agrémentées d’un commentaire) mettant en scène des chats, un phénomène qui serait apparu en 2007 avec la première publication sur le web de l’image d’un minet un brin joufflu demandant « I can has cheezburger ? »
Les mèmes de chats ont atteint leur sommet de popularité aux alentours de 2010, avec l’arrivée de Grumpy Cat et de Business Cat, deux vedettes du genre. Sur Google Trends, on constate que le nombre de recherches concernant les mèmes de chats atteint un sommet en 2012. Pour les vidéos, on observe ce sommet en 2014.
Ce sera toujours quelque chose qui est populaire dans le monde du web parce que c’est du contenu qui est très gentil. […] Mais le sommet des chats est vraiment derrière nous, côté mèmes Vincent Houde, coorganisateur du premier festival de mèmes québécois, tenu l’été dernier
À preuve, aucun chat ne figurait parmi les mèmes présentés lors du festival. Aujourd’hui, sa génération pose un regard un brin moqueur (et nostalgique) sur les mèmes de félins, l’oiseau présentant, selon lui, beaucoup plus de possibilités en raison de sa personnalité plus nuancée.

PHOTO TIRÉE DU WEB
« Grumpy Cat ». Traduction libre : « J’ai eu du plaisir une fois ; c’était horrible. »
Il suffit cependant d’observer l’engouement que connaît le Cat Video Fest pour comprendre que les chats n’ont pas battu en retraite. Présenté dans près de 200 villes en Amérique du Nord et une centaine en Europe, le festival, qui propose une sélection des meilleures vidéos de chats, a rapidement affiché complet lors de l’annonce de son passage au Cinéma du Parc à Montréal l’été dernier. Cette année, son directeur Will Braden a vu le nombre de vidéos qui lui ont été soumises augmenter grâce à ce qu’il qualifie de « boost de popularité ».
Il ne croit pas que le succès des chats sur le web soit chose du passé.
« Aussi longtemps que les gens auront des chats, il y aura des vidéos de chats. Peut-être qu’il y aura des hologrammes, qui sait ? », affirme celui qui visionne chaque année entre 10 000 et 12 000 vidéos de minous pour arrêter sa sélection, qui ne se résume pas à de drôles de vidéos.
« Maru se liquéfie » (YouTube, 2019)
Amateur de vidéos félines avant même l’arrivée de YouTube, Will Braden est le réalisateur derrière la très visionnée série Henri le chat noir, qui présente les méditations existentielles d’un chat, à la manière d’un film français un peu prétentieux. Un projet qui est né lors de ses études en cinéma et qui s’est terminé l’an dernier par une vidéo d’au revoir.
Henri 2, Paw de Deux, par Will Braden
En 2012, le deuxième épisode de la série Henri 2, Paw de Deux, a remporté le prix du public lors de la première édition de l’Internet Cat Video Festival, l’ancêtre du festival actuel, qui avait été mis sur pied par le Walker Art Center de Minneapolis. Le regretté critique américain de cinéma Roger Ebert a même qualifié Henri 2, Paw de Deux de « meilleure vidéo de chat jamais faite ».
>> Consultez la chaîne YouTube d’Henri le chat noir
De l’art ?
Forme d’art, les vidéos de chats ? En 2015, les vidéos, mèmes et gifs de chats ont fait l’objet d’une rétrospective très médiatisée au Museum of Moving Image de New York.
Le directeur général du musée, Carl Goodman, avait alors déclaré au New York Times :
« En plaçant cela dans un musée, nous ne disons pas que c’est de l’art, nous ne disons pas que ce n’est pas de l’art, nous disons que c’est important sur le plan culturel. »
« Bien sûr, c’est amusant et c’est idiot. Mais il y a aussi des gens qui font des choses artistiques et ça adonne qu’ils utilisent un chat », remarque Will Braden.
« If it fits, it fits… », Cole et Marmelade (YouTube, 2018)
« Il y a certaines personnes qui vont faire des choses très poussées, très pensées, et ce sont plus elles qu’on pourrait qualifier d’artistes du mème », affirme Vincent Houde.
N’empêche que la valeur artistique n’est généralement pas la raison première pour laquelle les gens consomment du contenu félin. Une étude réalisée en 2015 par Jessica Gall Myrick, chercheuse à l’École des médias de l’Université de l’Indiana, a démontré que, bien qu’il s’agisse pour plusieurs d’une manière de procrastiner, le visionnement de vidéos de chats a un effet positif sur l’humeur et augmente le niveau d’énergie.
>> Consultez l’étude (en anglais)
Les chats auraient même une utilité politique. C’est la « théorie du chat mignon » proposée par le directeur du MIT Center for Civic Media, Ethan Zuckerman. Une théorie enseignée par Fabien Loszach à ses étudiants de l’UQAM, qui veut que les sites et réseaux sociaux développés pour partager du contenu comme les « lolcats » servent aux activistes et aux mouvements sociaux.
« Il dit que le web 1.0 a été inventé pour que les physiciens partagent leurs recherches et que le web 2.0 a été inventé pour que les gens partagent leurs photos de chats, explique Fabien Loszach. Et c’est très bien comme ça parce qu’il y a tellement de monde sur les sites de lolcats que les régimes en place ne peuvent pas fermer ces plateformes-là sans provoquer une espèce de tollé dans la population. »
Les chats, ennemis des régimes totalitaires ? Avouez que vous n’y aviez pas pensé.
2015
En 2015, une année record, le contenu en lien avec les chats a généré 172 millions de pages vues sur le site de Buzzfeed.
Source : Buzzfeed
100 millions
Au cours des cinq dernières années, les chats ont généré 100 millions de plus de pages vues que les chiens sur Buzzfeed.
Source : Buzzfeed
1,6 million
La communauté des chats sur le site de partage Tumblr est estimée à 1,6 million d’utilisateurs.
Source : Tumblr
171 millions
Nyan Cat, la vidéo de chats souvent citée comme étant la plus visionnée de l’internet, a plus de 171 millions de vues sur YouTube.
https://www.lapresse.ca/
Chronologie du phénomène félin sur le web

PHOTO RICHARD VOGEL, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS
Tardar Sauce, alias Grumpy Cat, en décembre 2015
Ça a commencé par des photos de chats envoyées par courriel, et aujourd’hui, bon nombre de vidéos les mettant en scène comptent des millions de vues. Rétrospective de ce qui est devenu un phénomène de la culture web.

IMAGE LIBRE DE DROIT
Dans son studio, le photographe britannique Harry Pointer fait poser ses chats en orchestrant une mise en scène, images auxquelles il ajoute souvent du texte.
1870
D’accord, l’internet n’existe pas en 1870. C’est toutefois à ce moment que le réputé ancêtre du mème voit le jour. Dans son studio, le photographe britannique Harry Pointer fait poser ses compagnons tigrés en orchestrant une mise en scène, images auxquelles il ajoute souvent du texte, puis il les offre sous forme de carte postale.

IMAGE TIRÉE DE LA BIBLIOTHÈQUE DU CONGRÈS
La première vidéo de chats connue, réalisée par Thomas Edison
1894
Toujours pas d’internet à ce moment-là. Mais c’est en 1894 qu’aurait vu le jour la première vidéo de chats, réalisée par un certain Thomas Edison. Le clip de 22 secondes montre deux chats qui boxent dans un ring.
>> Visionnez la vidéo
1990
Avant l’arrivée de 4chan, Reddit, Facebook et YouTube, c’est par courriel que les photos de chats voyagent.

IMAGE TIRÉE DE YOUTUBE
Une première vidéo de chat est mise en ligne sur YouTube.
2005
Une première vidéo de chat est mise en ligne sur YouTube. Il s’agit de Pajamas, le chat du cofondateur de la plateforme, qui joue avec une corde.
>> Visionnez la vidéo

IMAGE TIRÉE DE WIKPÉDIA
« Lolcat » est défini par Wikipédia comme « une image combinant une photographie d’un chat avec une légende humoristique et dans un anglais écorché. »
2006
Caturday voit le jour sur 4chan, un forum d’images populaire chez les amoureux des félins. Publier une photo de chat ou un « lolcat » le samedi devient une tradition sur cette plateforme d’abord, puis sur d’autres sites. C’est d’ailleurs en 2006 que le terme « lolcat », défini par Wikipédia comme « une image combinant une photographie d’un chat avec une légende humoristique et dans un anglais écorché », fait son apparition.

IMAGE TIRÉE SU SITE SITE I CAN HAS CHEEZBURGER ?
La première publication mise en ligne sur le site est une photo du chat Happycat demandant : « I can has cheezburger ? »
2007
Le site I Can Has Cheezburger ?, l’un des plus populaires du genre, est lancé par Eric Nakagawa et Kari Unebasami. La première publication mise en ligne est une photo du chat Happycat demandant : « I can has cheezburger ? » Ce site a rendu le « lolcat » plus accessible en offrant un outil permettant de mettre du texte sur une image macro.
2012
La première édition de l’Internet Cat Video Festival voit le jour. Jusqu’en 2015, l’événement est organisé par le Walker Art Center de Minneapolis. Will Braden, réalisateur des vidéos Henri le chat noir, reprend ensuite le flambeau et le festival change de nom pour Cat Video Fest. Une partie des profits est remise à des organismes voués à la protection des animaux.

PHOTO BYRON SMITH, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES
Le Museum of the Moving Image à New York présente la très médiatisée exposition How Cats Took Over the Internet.
2015
Le Museum of the Moving Image à New York présente la très médiatisée exposition How Cats Took Over the Internet. C’est notamment l’occasion d’explorer des concepts comme l’anthropomorphisme et l’esthétique de la « mignonnerie » (cuteness), deux concepts importants dans l’analyse des vidéos de chats.
2019
Tardar Sauce, mieux connue sous le nom de Grumpy Cat, succombe, le 14 mai, à une infection urinaire. Sa première apparition sur l’internet date de septembre 2012, alors que le frère de sa propriétaire publie une photo d’elle sur le site Reddit. Son expression grincheuse la rend instantanément célèbre. Son visage est repris dans de nombreux mèmes. À sa mort, environ 8,5 millions d’abonnés la suivent sur Facebook.
https://www.lapresse.ca/