Personnellement, je suis bien contente que l’obstétrique a changé. Maintenant, on permet plus aux mamans de choisir la façon dont elle veut mettre au monde leur bébé. Cela n’a pas toujours été ainsi
Nuage
Voilà comment on accouchait autrefois
En matière d’accouchement, pour le meilleur et souvent pour le pire, l’interventionnisme est souvent de mise! | Internet Archive Book Images via Flickr CC (pas de restriction connue du droit d’auteur)
Béatrice Kammerer
Ces illustrations tirées d’un ouvrage de 1882 peuvent nous aider à prendre un peu de recul vis-à-vis des normes obstétriques actuelles mais aussi des égarements du passé.
En 1882, le professeur de gynécologie américain Georges Julius Engelman s’est rendu célèbre en publiant La pratique des accouchements chez les peuples primitifs. Dans cet ouvrage, traduit en français en 1885, il passe en revue les pratiques autour de la grossesse et de la naissance des peuples du monde entier et les compare avec celles alors en vogue dans le monde occidental.
Mêlant traité de médecine et enquête ethnographique, le texte n’en est pas moins conforme au racisme de son temps: il différencie les «peuples anciens» issus des grandes civilisations du passé, dont on salue la sagesse et l’étendue des connaissances, des populations autochtones de l’époque vues comme des «peuples primitifs», «barbares»,«sauvages» et qui vivent à l’état de «brutes». Les mœurs de ces derniers sont scrutés avec une curiosité mi-condescendante mi-envieuse empreinte du mythe du «bon sauvage»: les naissances y seraient bien plus faciles que dans les pays occidentaux en raison de l’«état de nature» qui préserverait des excès et déviances de la civilisation.
Quoi qu’il en soit, s’il est difficile de déterminer parmi les informations données par Engelman ce qui relève de la réalité des mœurs de l’époque ou du fantasme des occidentaux, on peut au moins s’accorder sur un point: en matière d’accouchement, pour le meilleur et souvent pour le pire, l’interventionnisme est souvent de mise! Voici donc un petit florilège d’illustrations issues de l’ouvrage d’Engelman pour nous aider à prendre un peu de recul vis-à-vis des normes obstétriques actuelles mais aussi des égarements du passé.
De la contrainte à la violence obstétricale
Internet Archive book image via Flickr CC (pas de restriction connue du droit d’auteur)
Selon Engelman, il aurait été d’usage dans certaines peuplades d’Océanie ou amérindiennes d’attacher les bras des parturientes à un arbre durant toute la durée de l’expulsion. Si l’intérêt d’avoir les bras en position haute est avéré du point de vue de la physiologie de l’accouchement, une telle restriction de mouvements le réduit aussi à néant. Cette contrainte n’est d’ailleurs pas sans rappeler celles que les femmes décrivent parfois dans les milieux hospitaliers, lorsqu’elles se sentent sanglées de toutes parts entre perfusion, tensiomètre et monitoring fœtal.
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L’illustration ci-dessus présenterait une pratique observée en Afrique centrale et réservée aux cas où le travail stagne: une fois allongée sur le ventre, un coussin sur l’estomac, des aidants viendraient alors pétrir le dos de la parturiente ou même le lui fouler aux pieds pour stimuler l’utérus et accélérer l’expulsion. Charmant, n’est-ce pas?
Mais ne nous y trompons pas, les violences obstétricales ne sont ni l’apanage des temps anciens, ni celles des civilisations non occidentales; songeons par exemple aux femmes enceintes traitées comme des cobayes dans la maternité de Göttingen à la fin du XVIIIesiècle au nom de l’élaboration de l’obstétrique scientifique ou de la pratique en Irlande jusque dans les années 1980 de la symphysectomie pour des raisons idéologiques, une opération alternative à la césarienne, parfois vitale mais aux conséquences très lourdes pour la mère.
Presser l’utérus comme un citron
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Ces trois illustrations montrent, dans des contextes et des positions différentes, la pratique de «l’expression abdominale», c’est-à-dire la compression artificielle de l’utérus dans le but de hâter l’expulsion ou, comme dans le cas de la deuxième illustration, de provoquer la délivrance du placenta. Cette pratique, qui semble si intuitive (pourquoi ne pourrait-on pas vider l’utérus en appuyant dessus comme on vidangerait un ballon?), a été par le passé très suivie et est encore aujourd’hui très fréquente, y compris en France, et ce, en dépit des recommandations de la Haute Autorité de Santé, qui préconise depuis 2007 son abandon total en raison de son inefficacité et du vécu traumatique fréquent chez les patientes.
Les gadgets de l’accouchement
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Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué? Qu’on soit plutôt partisan des naissances physiologiques ou plus médicalisées, la tentation est grande, lorsqu’une nouvelle maternité ouvre, d’en inspecter les équipements avant toute chose: la structure dispose-t-elle de ballons pour le travail? de baignoires de naissance? d’écharpes de suspension? de monitorage fœtal dernière génération? d’échographie 3D? de couveuses high-tech? Et ce, avant même de se demander si les sages-femmes sont assez nombreuses pour accompagner décemment les femmes, pour les soutenir et prendre en charge leurs douleurs, entendre leurs angoisses et faire de la naissance une première étape réussie de construction du lien parent-bébé.
Mais ce souci prioritaire pour l’environnement matériel au détriment de l’expertise humaine ne date pas d’hier et les illustrations ci-dessus en sont de brillants exemples! Une tendance mise à mal de façon hilarante au début des années 1980 par les Monthy Python et leur célèbre «Machine qui fait ping», objet-star de la maternité qu’ils dépeignent, mais aussi par de plus funestes épisodes, tels que celui survenu en 2011 à la maternité de Port-Royal. Quand on songe qu’un brevet a été déposé en 1965 pour une machine à faire accoucher les femmes grâce à la force centrifuge, la gadgétisation de l’accouchement a de quoi laisser songeur…
Des positions acrobatiques? Et pourquoi pas?
Internet Book Archive Image via Flickr CC (pas de restriction connue du droit d’auteur)
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Si les positions que prennent spontanément les femmes en travail peuvent parfois sembler inattendues, il n’est pour autant pas toujours possible de juger a priori de leur efficacité sur le déroulement de la naissance. C’est ainsi que lorsque j’ai demandé à 10lunes, sage-femme et militante de la physiologie de l’accouchement bien connue des internautes, ce qu’elle pensait des postures ci-dessus que je trouvais pour le moins rocambolesques, elle m’a rapidement rappelé que,
«le plus souvent, peu importe la position, pourvue que ce soit la femme qui l’ait choisie».
La médecine contemporaine a d’ailleurs commencé à prendre la mesure de l’intérêt de nombreuses positions alternatives à la position allongée sur le dos, dite «gynécologique». Dans une revue de 2012, le réseau Cochrane chargé d’établir des données probantes pour la prise de décision médicale a par exemple noté l’influence significativement positive des positions redressées (à genoux, debout, accroupie): baisse du nombre d’extractions instrumentales, du nombre d’épisiotomies et des anomalies du rythme cardiaque fœtal