On aimerait bien interagir avec les animaux sauvages, voir même en adopter surtout s’ils semblent abandonnés ou perdus. Pourtant, nous faisons plus de mal que de bien à ces animaux. Certains pourraient devenir agressifs envers ceux qui les avaient adopter et d’autres ne pourraient jamais revenir dans leur environnement, sans oublier que nous nuisons à la reproduction des animaux qui peuvent être en voie de disparition
Nuage
Comment agir en présence de bébés animaux sauvages

Enfants qui regardent les canards à l’Écomuseum de Sainte-Anne-de-Bellevue. Photo : Ecomuseum, Victoria de Martigny
Au printemps, la nature s’éveille, et les femelles de plusieurs espèces mettent bas. Apparaissent alors, dans notre environnement, de jolis bébés animaux. On a parfois le goût de les recueillir et de les nourrir, voire de les adopter. Mais est-ce le bon comportement à prendre?
Un texte d’Ève Christian
Ces jours-ci, en me promenant autour du lac artificiel, à Boucherville, je vois des enfants nourrir les petits du couple de bernaches installé là. J’ai déjà croisé, par un petit matin, un faon qui s’abreuvait au bord d’une piscine, ou, en soirée, une maman raton laveur suivie de ses petits aux yeux maquillés de noir. On en voit de toutes les espèces, ces temps-ci.
En ville, on peut croiser des levrauts, des renardeaux et des oisillons tombés des nids. Ils sont si adorables, ces bébés animaux sauvages!
Parfois, on les pense seuls; on a beau regarder aux alentours, la mère semble absente. Les croyant donc abandonnés et dans le besoin, et rempli de bonnes intentions, on les apporte à la maison pour en prendre soin… presque comme des animaux domestiques. Ce n’est toutefois pas le comportement qu’on devrait adopter : retiré de son milieu naturel et nourri par une main humaine, l’animal ne pourra en effet pas retourner vivre dans son environnement à cause de l’imprégnation.

Une famille de bernaches au bord du lac, à Boucherville Photo : Eve Christian
Imprégnation animale
Quand un animal est très jeune, il s’associe à une espèce, idéalement la sienne. Mais s’il est élevé par une autre, il finira par s’y identifier. C’est ça, l’imprégnation.
Et quand l’espèce qui lui donne des soins, l’héberge et le nourrit est l’Homo sapiens, c’est irréversible et très problématique.
La pire chose qu’on puisse faire pour un animal sauvage, c’est de le nourrir : ça le mènera plus souvent qu’autrement à sa mort. David Rodrigue, directeur général du zoo extérieur Ecomuseum, à Sainte-Anne-de-Bellevue
David Rodrigue me racontait l’histoire d’un coyote qui avait été nourri pendant un certain temps par une personne. Ces soins ont créé une habitude pour cet animal sauvage. Mais un jour, ce qui devait arriver arriva : la personne a décidé que c’en était fini, et le coyote a réagi en animal sauvage et a mordu son pourvoyeur. Doit-on accuser le coyote de son agissement?
Bonnes intentions contre gestes adéquats
Ce qui part d’une bonne intention peut donc dégénérer en problème. Qu’arrive-t-il à un animal sauvage quand les personnes qui l’ont recueilli décident qu’elles ne peuvent plus le garder?
- S’il est replacé dans son milieu naturel, il aura de la difficulté à subvenir à ses besoins de façon autonome, car il a toujours dépendu des bons soins humains.
- S’il est recueilli par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec, il pourra être placé dans une institution qui lui fournira une qualité de vie, comme l’Ecomuseum ou d’autres zoos.
- Ou alors, il sera euthanasié par un service d’extermination.
Malgré tout son bon vouloir, en recueillant des animaux sauvages, on n’aide ni l’espèce ni l’individu concerné.
Biche de Virginie
Vous avez entendu parler de May, la jeune biche qui a été adoptée par un couple? Elle aurait été recueillie au bord du chemin, sans mère présente dans les environs. Ces gens l’ont amenée et lui ont prodigué des soins comme ils l’auraient fait avec un animal domestique.
Un jour, ils se sont fait prendre par le ministère, car il est illégal de garder un animal sauvage. Mais en raison d’une grande réaction de sympathie de la part de la population, au lieu de reprendre la biche, le ministère a accordé un permis au couple. Selon David Rodrigue, ce n’est pas un bon exemple à donner et c’était l’occasion de passer un message à la population.
Heureusement pour ce couple, May était une femelle.
Si ce cerf de Virginie avait été un mâle, il aurait vécu son rut automnal de façon naturelle et il aurait réagi en animal sauvage devant le mâle de la maison [l’homme]. Il l’aurait probablement attaqué, car malgré l’imprégnation, il reste toujours une portion de comportement naturel. Imaginez le danger. David Rodrigue, directeur général du zoo extérieur Ecomuseum, à Sainte-Anne-de-Bellevue
Tortues et ratons laveurs
Vous avez déjà croisé des tortues qui traversent la route? Elles se voient dans certaines régions, comme dans les Cantons-de-l’Est.

Tortue serpentine, Ecomuseum Photo : Ecomuseum, Claude Lafond
Au printemps, des femelles pleines d’œufs se déplacent pour atteindre un plan d’eau afin d’y pondre. En traversant la rue, certaines se font écraser avec leurs œufs, alors que d’autres se font ramasser par des bons samaritains qui pensent qu’il vaut mieux les déplacer dans un endroit sécuritaire – lequel n’est souvent pas leur milieu naturel, ce qui les empêche de poursuivre leurs habitudes de vie.
Plusieurs espèces de ces animaux, qui ont pourtant côtoyé les dinosaures il y a 250 millions d’années, sont en train de disparaître – et ce, en une centaine d’années seulement. Leur taux de reproduction est bas : elles parviennent à maturité sexuelle autour de 10 à 14 ans selon les espèces et elles ne pondent qu’une dizaine d’œufs chaque fois. Et c’est sans compter leurs prédateurs naturels, comme les ratons laveurs, qu’on voit de plus en plus en ville.
Ces animaux sont parfois « adoptés » par des gens qui nourrissent les bébés. Les premières semaines, c’est amusant. Mais ensuite, l’histoire dégénère.
Quand l’automne arrive, une dizaine de ratons se permettent de monter sur la galerie, pensant en avoir le droit, puisque les humains qui les nourrissent y sont! Ils sont bien habiles, ces animaux, et ils ont une grande capacité d’adaptation. Leurs pouces ressemblent aux nôtres, ce qui les rend très agiles. Ils ont appris à ouvrir les barrures des poubelles; d’ailleurs, les femelles enseignent la façon de faire à leurs jeunes.
Ils utilisent plusieurs crevasses, ou encore des endroits urbains ou périurbains pour se cacher. D’ailleurs, pour hiverner, ils creusent sous la galerie, défont les toits des maisons, ou s’installent alors dans le cabanon – pas par méchanceté, mais parce qu’ils veulent s’y cacher, comme ils le feraient en milieu naturel dans le tronc d’un arbre.

Un raton laveur dans la cavité d’un arbre Photo : Ecomuseum, Claude Lafond
Et là, les gens paniquent et font intervenir des services pour les relocaliser. Voyez-vous le non-sens?
Tant que ces animaux ne font pas de dommages, le conseil de David Rodrigue est de les laisser évoluer et de ne pas interagir ou les nourrir, car cette attitude contribuerait à réduire les taux de reproduction, qui sont actuellement très élevés.
Selon les régions, au lieu d’en trouver un ou deux au kilomètre carré, il y en a de 16 à 18. Et ils menacent la survie des tortues, car ils vident les nids au complet. Voyez le lien, qui peut sembler non évident au départ : quand on nourrit les ratons laveurs, on nuit aux tortues.
D’ailleurs, cette pratique de la non-adoption vaut pour les oiseaux qui tombent des nids, les faons qu’on croise dans les parcs, les bernaches qu’on voit en ville ou les renards qu’on aperçoit dans les boisés. On peut les observer, mais de loin.
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