Je ne l’ai pas vue sur Facebook, mais un article tiré d’un journal québécois en 1983 a été utilisé pour discréditer les pronostics des changements climatiques. Le journaliste qui avait choisit ce titre voulait peut-être attirer l’oeil plus qu’autre chose. En fait, rien ne dis dans l’article de cette époque, qu’il n’aurait plus de neige en 2000.
Nuage
Non, les scientifiques ne croyaient pas qu’il n’y aurait plus de neige au Québec en 2000
Le titre a beaucoup fait réagir les internautes. Photo: Capture d’écran – Journal de Québec
Jeff Yates
Une photo d’un article de 1983 suggérant que les scientifiques croyaient à l’époque qu’il n’y aurait plus de neige au Québec en 2000 circule sur les réseaux sociaux. On l’utilise pour remettre en question la science climatique. Or, lorsqu’on lit l’article, il est évident que le titre alarmiste ne correspond pas du tout au contenu ni aux connaissances scientifiques à l’époque.
Des personnes ont publié sur Facebook une photo d’un article du Journal de Québec datant de 1983 et intitulé Si la prédiction des scientifiques américains se révélait véridique… en l’an 2000, la neige ne serait pour nous qu’un souvenir! Ces personnes ont fait remarquer que c’est loin d’être le cas et qu’il faut donc douter des prévisions climatiques des scientifiques.
« Est-ce qu’un de ces scientifiques pourrait venir cet après-midi déneiger les 6 pieds de neige accumulés sur mon toit? » a lancé, de façon ironique, l’une d’entre elles.
Malheureusement, la photo publiée ne permet pas de lire l’article en question. Une visite aux Archives nationales du Québec nous a permis de le retrouver. Publié le 22 octobre 1983, l’article contient bel et bien ce titre alarmiste. Vous pouvez le consulter ici.
Article du Journal de Québec by Radio-Canada on Scribd
En le lisant, on se rend à l’évidence que le titre ne convient pas tout à fait au contenu. L’auteur de l’article s’appuie sur deux sources d’information : un rapport publié en 1983 par des scientifiques américains et une entrevue avec André Hufty, un climatologue québécois. Le titre contredit ces deux sources d’information.
Un rapport qui ne prédit rien pour 2000
En 1983, l’Environmental Protection Agency (EPA, ou Agence américaine de protection de l’environnement) publiait le rapport Pouvons-nous ralentir le réchauffement climatique (Nouvelle fenêtre), mentionné dans l’article. Ce rapport explorait certaines politiques pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les auteurs mentionnent que ces gaz pourraient avoir un effet important sur le climat, mais ils ne font pas de prédictions très précises, encore moins pour le climat au Québec.
La seule prédiction spécifique émise par les scientifiques est que le climat pourrait se réchauffer de 2 degrés Celsius d’ici 2040 et de 4 degrés d’ici 2100. Cela ressemble aux prévisions actuelles (Nouvelle fenêtre) du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui prévoit un réchauffement de 1,5 degré Celsius entre 2030 et 2052.
Les auteurs du rapport reconnaissent qu’un tel réchauffement s’accompagnerait sans doute d’importants bouleversements climatiques, dont l’augmentation du niveau des océans et un rythme plus important de catastrophes naturelles. Mais l’essentiel du rapport est consacré à l’effet de plusieurs politiques proposées sur les émissions de gaz à effet de serre. Les hivers québécois ne sont pas mentionnés.
L’expert interviewé tempère
André Hufty était climatologue à l’Université Laval lorsque le Journal de Québec l’a interviewé. D’entrée de jeu dans l’article, il tempère la prémisse catastrophique du titre
« Ce ne serait certainement pas ici le paradis ou la Floride, explique-t-il. Il faut comprendre que tout ne se fera pas en une nuit, si ce scénario se joue tel qu’on le prédit. On aura quelques décennies pour le voir venir. »
Nulle part l’article de M. Hufty n’avance que les hivers québécois disparaîtront avant l’an 2000. Ses prévisions sont d’autant plus nuancées.
« En admettant que la température monte de 1,5 à 2 degrés Celsius, nos hivers ici au Québec ressembleront beaucoup plus à ceux que vivent actuellement les habitants de la Nouvelle-Angleterre, aux environs de Boston », souligne-t-il dans l’article.
Nous avons d’ailleurs joint M. Hufty, qui est retraité depuis le début des années 2000. Il reconnaît que les prévisions climatiques sont beaucoup plus fiables à l’échelle de la planète que pour des endroits spécifiques.
« Il est évident que les changements climatiques ont toujours existé, mais l’échelle temporelle se raccourcit. Les prévisions antérieures parlaient de réchauffement global pour toute la Terre et ses effets régionaux sont mal connus, d’où des erreurs de prévisions », nous a-t-il écrit. Il ajoute qu’il n’y a aucun doute que le climat a changé et qu’il continuera à changer.
Rien, que ce soit dans le contenu de l’article, dans le rapport cité ou dans l’entrevue avec M. Hufty, ne permettait au Journal de Québec de titrer en 1983 que les hivers québécois disparaîtraient avant 2000. Il s’agit d’un cas de sensationnalisme journalistique plutôt que d’une erreur scientifique.