C’est le comble, on faisant des recherches sur internet, on peut trouver plus facilement des recettes pour se suicider que de l’aide. Internet est un très bon outils mais comporte aussi de grandes lacunes et au nom de la liberté d’expression il est difficile de sévir contre ce fléau
Nuage
Des pièges pour suicidaires
Marie-Claude Malboeuf
La Presse
La « grande majorité » des jeunes suivis à l’Hôpital de Montréal pour enfants après une tentative de suicide ont fréquenté des sites web ou forums de discussion prônant la mort et expliquant comment s’enlever la vie.
« C’est un problème effrayant, parce que les jeunes y trouvent des recettes plus létales qu’ils n’auraient jamais pu imaginer autrement. Cela donne lieu à des tentatives très sérieuses. On les sauve par miracle », affirme la chef du programme de soins pédopsychiatriques de l’hôpital, Lila Amirali, qui voit de plus en plus de cas du genre.
« Après être passés à l’acte, souvent, les gens nous appellent. Ils veulent de l’aide. Si quelqu’un leur a donné une méthode trop efficace, on risque de ne pas arriver à temps », s’inquiète de son côté Philippe Angers, coordonnateur clinique à la ligne d’aide Suicide Action Montréal.
Aux États-Unis, en Europe, en Asie, partout, des chercheurs et psychiatres déplorent l’explosion de « suicides assistés par Internet ». Des personnes de 13 ans à 52 ans ont déjà été retrouvées mortes à quelques pas de leur ordinateur, une page d’instructions encore affichée. Des méthodes tout à fait inusitées se répandent soudain au-delà des frontières. Des étrangers concluent des pactes mortels, quittant leur pays pour se rejoindre.
« Certains sites donnent des listes de choses à acheter et des détails atroces : comment faire le noeud, comment le positionner », constate la pédopsychiatre Lila Amirali, qui prend maintenant soin de mettre en garde ses jeunes patients.
Il y a trois jours à peine, le forum du genre le plus connu affichait deux messages éloquents :
« Cherche une équipe pour mourir » et « Toujours à la recherche d’un partenaire vers la sortie ».
En Grande-Bretagne, l’organisme de prévention Papyrus dit avoir recensé 45 cas de jeunes morts après avoir suivi les conseils de ce même forum, où ne cesse de réapparaître un mode d’emploi de 30 pages exposant plus de 100 méthodes dans les moindres détails.
« Ce genre de site est souvent alimenté par des jeunes qui se servent d’Internet pour évacuer leurs idées morbides. Cela les soulage, et après, ils ne sentent plus le besoin de passer à l’acte. Mais ce vomissement public peut être très néfaste pour d’autres. Ce sont des pièges à mouches pour suicidaires », analyse le Dr Lila Amirali.
« En ligne, les gens ont plus de chances de trouver des instructions pour s’enlever la vie que de l’aide », dénonce pour sa part Rory Butler, fondateur de Your Life Counts, organisme de prévention pancanadien.
Devant de tels encouragements, reculer revient parfois à « perdre la face », observe le chercheur Pierre Baume, qui a publié l’une des premières recherches sur le sujet.
Pendant deux semaines, un homme de 26 ans a recueilli auprès des autres de l’information fatale, tout en précisant avoir peur d’aller de l’avant et craindre de peiner ses proches. Personne ne l’a freiné.
Puisqu’ils se sentent exclus et incompris ailleurs, les membres de ces forums peuvent y trouver un certain réconfort. Le problème, c’est qu’ils portent tous les mêmes lunettes teintées, souligne le directeur de l’Association québécoise de prévention du suicide, Bruno Marchand.
« Quatre-vingt-dix pour cent des gens qui se suicident souffrent de maladie mentale, dit-il. Comme lorsqu’on a bu trop d’alcool, ce n’est pas la période où l’on fait les meilleurs choix. »
Illégal
Au Canada, l’article 241 du Code criminel est clair : quiconque conseille à une personne de se donner la mort ou l’encourage à le faire est passible de 14 ans de prison, que le suicide s’ensuive ou non.
« Il faut s’être adressé à une personne en particulier. Envoyer un message général disant qu’on est pour le suicide semble être protégé par la liberté d’expression, comme si on l’écrivait dans un livre », nuance le professeur Pierre Trudel, spécialiste du droit d’Internet à l’Université de Montréal. La loi canadienne est par ailleurs impuissante devant les sites étrangers.
« On pourrait plutôt convaincre les moteurs de recherche comme Google d’accorder la priorité aux sites d’aide ou d’ouvrir systématiquement une fenêtre qui en offre », suggère Brian Mishara, directeur du Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie (CRISE), situé à l’Université du Québec à Montréal.
En 2006, après des discussions enflammées, l’Australie a préféré criminaliser tous les sites pro-suicide.
Au Québec, le Service de police de la Ville de Montréal et le Bureau du coroner n’ont apparemment jamais été appelés à enquêter sur un suicide du genre. L’Association des médecins psychiatres du Québec n’a pas de position sur le sujet et sa directrice nous a déclaré ne pas être en mesure de trouver une personne capable de répondre à nos questions.
« On est en retard par rapport à l’urgence de la situation et par rapport à d’autres pays », conclut le directeur de l’Association québécoise de prévention du suicide, Bruno Marchand.