L’histoire nous raconte quelques conséquences des changements climatiques. Bien que ces changements font parti de la vie de la Terre, nous avons une bonne part de responsabilité par la vitesse que ces changements s’effectuent présentement. Les pandémies de la peste noire seraient donc une conséquence de ces changements. On peut prétendre savoir que cela risque de se reproduire.
Nuage
Un changement climatique était à l’origine de la peste noire
«Le Triomphe de la Mort» par Pieter Brueghel l’Ancien, 1562 | Museo del Prado via Wikimedia Commons License by
Pauline Guéna et Nonfiction
L’histoire nous apprend que le réchauffement de la planète pourrait bien nous réserver une mauvaise surprise.
Depuis quelques étés, la montée annuelle des températures est l’occasion d’observer le dégel du permafrost, cette couche de sous-sol gelée qui borde le cercle polaire. En théorie, le permafrost reste gelé toute l’année, mais avec le réchauffement climatique, des parties assez importantes sont en train de se réveiller. Et avec elles toutes sortes de gaz et de matière organique qui étaient restées piégées dans la glace, notamment beaucoup de gaz à effet de serre et… des paléo-virus.
Les paléo-virus, un nom qui ferait rêver les scénaristes d’Hollywod, sont des virus du passé: on les croyait éteints, mais ils reviennent lorsque des cadavres d’animaux pris dans les glaces dégèlent –des corps de rennes, mais aussi plus récemment de mammouths.
Ce scénario catastrophe combine donc transformation climatique et risque épidémiologique. Hollywood en rêvait, l’histoire l’a fait: c’est ainsi qu’avait commencé la peste noire qui a frappé l’Europe en 1347.
La peste noire, hécatombe mondiale
La peste noire est connue pour avoir balayé l’Europe au XIVe siècle. Elle frappe des sociétés qui ont connu une forte croissance démographique dans les quatre siècles précédents, et réduit en quelques décennies la population européenne du tiers, peut-être de la moitié, selon les espaces.
Dans le Décaméron, Boccace dépeint des sociétés désorganisées. Des personnes se cloîtrent chez elles, d’autres folâtrent dans les rues et à la taverne, persuadées que rire est le meilleur remède.
Pendant ce temps, «les gardiens et les ministres de la loi étaient tous morts, malades, ou si démunis d’auxiliaires que toute activité leur était interdite. N’importe qui avait donc licence d’agir au gré de son caprice».
Comme toujours, les sources littéraires nous poussent à exagérer les pertes, à insister sur la catastrophe et non sur les structures qui restent en place. Et pourtant, en Occident, il faudra attendre le XVIIe siècle pour que la population redevienne aussi nombreuse qu’avant la peste noire.
Hors de l’Europe, le tableau n’est pas très différent: la peste est une pandémie. Elle atteint toute l’Eurasie ou presque, et ravage aussi bien l’Occident que la Chine des Song. Après le premier choc, au milieu du XIVe siècle, elle perdure dans certaines régions, réapparaît par vagues, s’intensifie en été.
Les estimations démographiques pour le Moyen Âge relèvent toujours un peu du jeu de devinette –et celles à l’échelle mondiale davantage encore. On peut néanmoins donner des ordres de grandeur: en 1300, la population de l’Eurasie serait supérieure à 300 millions d’habitantes et habitants; trois siècles plus tard, en 1600, on l’estime en dessous de 170 millions. Et cette chute massive est entièrement liée à la peste.
Les gerbilles mordent, la caravane passe
Des spécialistes de l’histoire et du climat ont travaillé ensemble à résoudre la question de l’origine de l’épidémie. Elles et ils ont abouti à un scénario plausible, assez largement accepté.
Il faut partir du VIe siècle après Jésus-Christ, lors de la dernière grande peste mondiale, que l’on appelle la peste de Justinien, du nom de l’empereur romain qui régnait à cette époque.
Après des ravages dont on ne connaît pas vraiment l’ampleur, la peste finit par s’éteindre à peu près partout, sauf dans une région d’Asie centrale, sans doute sur un plateau du Tibet, où ne survivent que les microbes qui touchent les gerbilles. Les gerbilles, eh oui, et non les rats, que l’on accuse à tort! C’est tout de suite plus mignon, n’est-ce pas?
Gravure de gerbilles du XIXe siècle | John Gerrard Keulemans via Wikimedia Commons
Ces régions sont peu peuplées, par les animaux comme par les êtres humains; la peste reste endiguée. Même au XIIIe siècle, lorsque les Mongols conquièrent une large partie de l’Asie centrale et que les caravanes se mettent en place sur la route de la soie, la peste ne pose pas de problème. À l’époque de Marco Polo, on traverse les plateaux tibétains, mais on ne s’y arrête pas assez longtemps pour que le virus passe de l’animal à l’homme.
Une propagation express au petit âge glaciaire
Mais à la toute fin du XIIIe siècle et dans les premières décennies du XIVe siècle, le climat vient s’en mêler. Ces années correspondent au début du petit âge glaciaire, un refroidissement important qui touche l’Europe occidentale.
Partout, les phénomènes climatiques se réorganisent: moins de mousson en Asie du Sud-Est, plus d’humidité et de chaleur en Asie centrale. Les gerbilles prolifèrent, puis descendent vers les plaines, où elles croisent les caravanes.
Les microbes se propagent alors rapidement, peut-être d’abord à d’autres animaux, avant finalement de toucher notre espèce. Lorsque la peste arrive sur la mer Noire en 1347, elle se transmet désormais entre êtres humains. L’arrivée en Occident n’est que l’une des extrémités du parcours: alors que les Génois chargent quelques rats infectés sur leurs navires à Caffa en Crimée, les microbes sont déjà en train de se diffuser vers la Syrie et l’Irak, en suivant prioritairement les routes marchandes.
Le scénario de la peste est complexe; le climat ne joue que le rôle d’élément déclencheur. Les nouveaux circuits d’échange à l’échelle de l’Eurasie expliquent la rapidité de la diffusion. Les formes de gestion locale et d’endiguement de la contagion entrent aussi en compte, mais seulement de manière partielle.
Il s’agit d’une histoire large, dont les sociétés humaines ne sont que l’un des nombreux acteurs. C’est pourquoi on est encore loin de comprendre tous les mécanismes de la pandémie du XIVe siècle. Une seule est sûre: on comprend mieux la situation du XIVe siècle que les risques du XXIe siècle.
Cet article a été initialement publié dans le livre Actuel Moyen Âge, publié aux éditions Arkhê en novembre 2017.