Comment étudier les techniques et comportements des cambrioleurs pour de meilleures méthodes de préventions. ? Une petite annonce pour trouver des candidats avec expérience ? Pas évident ! En qui voudrait prêter sa maison même en assurant que rien ne sera vraiment dérobé ? Pas toujours facile le domaine de la science !!
Nuage
Des cambrioleurs au secours de la science…

Pierre Barthélémy
Imaginez la petite annonce : « Scientifiques cherchent cambrioleurs expérimentés pour travail sans risque. Discrétion assurée. Pas sérieux s’abstenir. »
Dans une œuvre de fiction, on verrait déjà des blouses blanches demander à des monte-en-l’air d’entrer par effraction dans le laboratoire de concurrents pour leur dérober on ne sait quelle formule secrète… Mais nous ne sommes pas dans un film ou un roman : dans la réalité qui est la nôtre, si des chercheurs britanniques ont eu recours à des cambrioleurs, c’était pour… étudier leurs techniques.
Comme ces psychologues le soulignent dans la présentation de leur étude, publiée le 17 décembre par la revue Psychology, Crime & Law, il est essentiel, pour prévenir les délits, de mieux comprendre les processus cognitifs mis en œuvre par les cambrioleurs : comment ils gèrent le temps très court dont ils disposent, comment ils prennent leurs décisions en situation de stress, comment ils exploitent les indices présents dans les domiciles visités pour aller directement aux endroits les plus lucratifs, etc. Autant de stratégies qu’il est difficile de percer à jour lors des interviews qui sont menées en prison auprès des voleurs arrêtés.
Comme le souligne Claire Nee (université de Portsmouth), premier auteur de l’étude, quel que soit leur domaine « les experts ont du mal à expliquer avec des mots ce qu’ils font étant donné que leurs actions sont automatiques. C’est bien mieux de les regarder faire mais ceci est compliqué dans la science criminelle. »
En effet, ainsi que le précise l’article non sans une pointe d’humour, « il est difficile, sur le plan de la logistique et de l’éthique, d’observer des délinquants en action »… D’où l’idée d’embaucher des professionnels pour un « cambriolage » sous contrôle.
Les choses n’ont pas été sans mal et l’étude comporte d’ailleurs une section « Défis » d’ordinaire absente des articles scientifiques. Ainsi, les chercheurs ont fait chou blanc lorsqu’ils ont employé la technique des petites annonces pour recruter leurs « experts ». Ils sont arrivés à leurs fins avec l’aide d’associations s’occupant du reclassement de marginaux. Six soi-disant ex-cambrioleurs ont ainsi été dénichés, six hommes ayant tous au moins cinq ans d’expérience, ce qui implique plusieurs centaines de cambriolages par an à l’actif de chacun…
Comme il fallait un groupe témoin pour comparer les comportements, six étudiants sans activité criminelle au compteur se sont improvisés cambrioleurs débutants.
Le second défi a consisté à trouver une maison avec un étage où tester les talents des deux groupes. Les auteurs de l’étude ont eu beau expliquer le but de l’expérience, dire que c’était pour la science et jurer leurs grands dieux que rien ne disparaîtrait, les propriétaires de maisons contactés n’ont guère eu envie de participer au progrès des connaissances en laissant une demi-douzaine de voleurs professionnels baguenauder chez eux.
La solution est venue… de la police qui a accepté de mettre à la disposition des chercheurs une maison dotés d’un studio d’enregistrement, qu’elle utilise pour mener des entretiens. L’équipe de psychologues a aménagé les autres pièces pour faire ressembler le tout à un domicile normal, répartissant les objets de valeur comme dans un foyer lambda.
Ils ont également créé un double numérique de cette maison car un de leurs objectifs était de voir si un cambriolage « virtuel » se ferait suivant les mêmes règles que dans la réalité. La moitié des « malfaiteurs » commençait par visiter la maison réelle puis enchaînait avec la version sur ordinateur, naviguant dans les pièces à l’aide de la souris et cliquant sur les objets à emporter, tandis que l’autre moitié suivait le cheminement inverse. Lorsqu’ils entraient dans la véritable maison, les voleurs – qu’ils fussent patentés ou en herbe – portaient une caméra sur la tête permettant d’enregistrer leur parcours et notamment le temps passé dans chaque pièce et la manière de la fouiller.
Les résultats sont édifiants : grâce à leur expérience, les « pros » identifient rapidement les zones les plus rentables (en général les chambres à l’étage alors qu’ils délaissent les salles de bain) et passent plus de temps à les explorer à fond tandis que les cambrioleurs débutants répartissent leurs temps de manière équitable entre toutes les pièces. Les premiers sélectionnent en général moins d’objets mais ceux qu’ils prennent ont plus de valeur. Ainsi, au cours du test, le montant du butin emporté par les « maîtres » s’élevait en moyenne à 4 875 livres contre 3 945 livres pour les étudiants. Ces derniers ont négligé les sacs à main de marque et les blousons en cuir qui n’ont pas échappé à l’œil aguerri des vrais cambrioleurs. Ceux-ci ont d’ailleurs confirmé les hypothèses des chercheurs sur les automatismes des experts en empruntant tous exactement le même chemin pour entrer dans la maison (par derrière) et pour la fouiller, tandis que leurs alter egos se promenaient un peu au hasard dans la maison.
Les auteurs de l’étude ont constaté peu de différences entre les comportements suivant qu’on se trouvait dans la maison réelle ou dans sa reconstitution numérique. Le résultat est intéressant car ces psychologues pourront élargir leur expérience à un échantillon plus important en proposant à des malfaiteurs emprisonnés de « jouer » aux cambrioleurs virtuels.
Surtout, Claire Nee espère que ces travaux permettront de mettre en place « diverses techniques de prévention qui stopperont le délinquant dans sa progression et l’obligeront à sortir de ses habitudes bien rodées. Cela augmentera son anxiété et la probabilité qu’il abandonne le cambriolage en cours. »
En attendant, vu le peu d’attirance des professionnels pour les salles de bain, vous pouvez aussi cacher les bijoux entre les brosses à dents et les tubes de dentifrice.
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