Quand nous étions petits, les risques d’empoisonnement étaient présents, mais pas comme maintenant. Aujourd’hui, les produits dangereux sont rendus attrayants, de belles couleurs comme les capsules de savon ou d’odeur comme les recharges liquide des cigarettes électroniques
Et ce n’est pas juste en Amérique du Nord que des enfants tombent malades ou pires sont morts à cause de ses produits.
Nuage
Empoisonnement des enfants: nouvelles modes, nouveaux risques
BAPTISTE RICARD-CHÂTELAIN
Le Soleil
(Québec) Le message ne passe pas, le nombre de cas d’intoxication de bambins se maintient. Le Centre antipoison du Québec le répète : les lessives liquides en sachet, en capsule, ne sont pas des bonbons.
«Normalement», en se délectant de savon, votre enfant aventureux en sera quitte pour une bonne leçon : nausées, vomissements, inconfort… Puis il se relèvera.
Le Centre antipoison du Québec reste toutefois pantois devant les conséquences parfois graves de l’ingestion des produits à la mode en capsule, ceux qui ressemblent drôlement à des friandises.
«C’est un réel problème en ce sens que les personnes qui sont exposées développent occasionnellement des symptômes qu’on n’est pas capables d’expliquer», avertit la conseillère en soins infirmiers Anne Letarte.
Plusieurs bébés, aguichés par les emballages aux teintes vives, mordent à belles dents… plusieurs deviennent subitement somnolents, mous, apathiques.
Elle insiste : «On n’est pas capable de l’expliquer, ça.» L’état de conscience est altéré, voilà qui annonce une virée d’urgence à l’hôpital.
Cas reliés aux capsules de lessive
Le nombre de cas recensés n’est pas faramineux.
Le téléphone a commencé à sonner dès la mise en marché de ces capsules de lessive en 2012. La courbe a ensuite pointé vers le haut rapidement pour se stabiliser autour de 150 cas par an.
C’est peu?
«Ce n’est pas très gros, mais la problématique, c’est que les personnes exposées développent des symptômes inhabituels», relève Mme Letarte. «C’est ça qui est inquiétant pour nous.»
D’autant plus que les victimes sont majoritairement, très majoritairement, des petits de 0 à 5 ans. Dont près du quart ont dû être transportés à l’hôpital rapidement, ajoute-t-elle.
«Pour un savon, c’est énorme. Ce n’est pas un produit corrosif qui cause des dégâts.»
Même chez les jeunes qui ne présentent pas les symptômes les plus intenses, le risque serait présent.
«La problématique, c’est que l’enfant trouve ça attrayant parce que c’est coloré. Il le met dans sa bouche, il croque et ça gicle.»
L’agent nettoyant est alors projeté dans le visage, dans les yeux, ce qui ne se produit pas si le petit manipule de la poudre pour le lave-vaisselle ou s’il goûte un savon liquide dans un gobelet.
Ça peut être plus grave lorsque le savon est ainsi projeté jusque dans les poumons. L’enfant peut faire une «pneumonie chimique», prévient Anne Letarte. Et se retrouver à l’hôpital…
Ce n’est pas la première fois que le Centre antipoison du Québec met la population en garde contre les berlingots de lessive liquide. Le nombre de cas semble toutefois faire du surplace, regrette Mme Letarte.
«Il n’y a pas tant de gens que ça qui sont sensibilisés aux dangers.»
«La meilleure chose à faire, c’est de prévenir les incidents».
Les étalages des commerces sont chargés d’autres formats de savons pour laver les vêtements, fait-elle remarquer.
Si, néanmoins, vous ne jurez que par les nouveaux emballages multicolores, mieux vaut les ranger loin des enfants… S’ils les trouvent et qu’ils y goûtent?
«Ce qui est important, c’est que les gens nous appellent rapidement.» Même si l’aventurier semble en bonne santé.
Une urgence, des questions : Centre antipoison du Québec, 1 800 463-5060
Sept conseils de base
- Lire les étiquettes avant d’utiliser les produits.
- Gardez les médicaments sous clé ou hors de portée des enfants.
- Installez un détecteur de monoxyde de carbone.
- Connaissez le nom et la toxicité des plantes intérieures et extérieures.
- Videz les cendriers et les verres après utilisation.
- Rangez les boissons alcoolisées hors de la portée des enfants.
- Gardez les produits dans leur contenant d’origine.
Source : Centre antipoison du Québec
La maison antipoison
Selon Santé Canada, tous produits confondus, les empoisonnements accidentels causent la mort de trois enfants de moins de 14 ans chaque année et en envoient quelque 900 à l’hôpital :
- Salle de bain: Produits d’hygiène personnels (shampoing, savon, dissolvant à vernis à ongles), cosmétiques, alcool à friction, nettoyeur de toilette et d’évier, rafraîchisseur d’air
- Salon: Rafraîchisseur d’air (branché ou diffuseurs d’huiles essentielles), allumettes
- Cuisine: Produits de nettoyage et d’entretien de plancher, combustible à fondue et à lampe, produits d’entretien pour les plantes d’intérieur
- Salle de lavage: Détergent à lessive, assouplisseur, eau de Javel, détacheur à vêtements
- Garage, cabanon, atelier: Solvant, colle, peinture, pesticide, lave-vitre de voiture, essence
- Chambre à coucher: Médicaments et produits d’hygiène
- Terrasse, parterre: Produits d’entretien du BBQ, produits d’entretien de la piscine
Problème mondial
Les petits Québécois ne sont pas les seuls à succomber aux charmes des berlingots de lessive. La faune journalistique s’était enflammée l’automne dernier; une étude américaine avait recensé, sur une période de deux ans, quelque 17 000 enfants étatsuniens contaminés par les capsules de lessive. Plus récemment, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a lancé une campagne mondiale de sensibilisation. Sur cinq continents, des gouvernements et des autorités de santé publique ont embarqué. Partout, le même problème. Partout, des enfants qui croquent dans les sachets de lessive liquide concentrée. Dans un récent communiqué, Santé Canada a dit collaborer avec les Étatsuniens afin d’instaurer des normes de sécurité «volontaires» pour que l’industrie modifie ses emballages. On pense notamment à demander des contenants opaques difficiles à ouvrir. À suivre d’ici «le milieu de 2015».
«Il n’y a pas tant de gens que ça qui sont sensibilisés aux dangers» Anne Letarte, conseillère en soins infirmiers du Centre antipoison du Québec
Même la cigarette électronique
La cigarette électronique est dangereuse pour les enfants, surtout pour les bébés, prévient le Centre antipoison du Québec.
«Pour les enfants, on n’a tellement pas de marge de manoeuvre que c’est direct à l’hôpital», balance la conseillère en soins infirmiers Anne Letarte. «J’ai une cinquantaine de cas en 2014.»
De plus en plus populaire, l’appareil suscite des craintes chez les autorités sanitaires autour du globe.
«On a à l’oeil la cigarette électronique parce que ce n’est pas réglementé.»
On s’inquiète particulièrement de l’attrait des garçons et fillettes pour les bouteilles de liquide de recharge aux saveurs de fruits ou de bonbons.
La vapoteuse est un appareil ressemblant à un gros stylo ou à une lampe de poche. Une batterie chauffe un liquide à la nicotine. La vapeur est inhalée.
Le gadget doit périodiquement être alimenté en combustible. C’est ici qu’on craint l’intoxication. Un flacon de 10 millilitres peut contenir l’équivalent de 100 cigarettes.
«Les enfants pourraient y avoir accès… Un enfant de deux ans peut s’intoxiquer avec1 millilitre», s’inquiète Mme Letarte. «Ça ressemble à de petites bouteilles de gouttes oculaires ou pour les oreilles. Un enfant peut l’attraper et la téter comme un biberon.»
Avertissement public
La Santé publique des Laurentides vient d’ailleurs de publier un avertissement public :
«La cigarette électronique : un produit qui peut être mortel pour les enfants».
La médecin-conseil Claire Jutras y écrit qu’un bébé de New York est décédé en décembre, intoxiqué avec la nicotine liquide.
«Afin de protéger les enfants, il est recommandé d’éviter de faire la recharge de la cigarette électronique devant eux», recommande-t-elle dans le bulletin publié en février. «Il est aussi recommandé de tenir les cigarettes électroniques, les cartouches et les bouteilles de remplissage hors de la vue et de la portée des enfants, et ce, même s’il est indiqué que le produit est sans nicotine.» Puisque non réglementé par l’État, le produit n’est pas soumis à des normes de fabrication ou d’emballage. «On a retrouvé de la nicotine dans des produits étiquetés sans nicotine.»
La Dre Jutras demande de contacter le Centre antipoison du Québec sans délai si un adulte ou un enfant a été en contact avec la nicotine liquide. Même si le produit a été absorbé par la peau.
La Société canadienne de pédiatrie abonde dans le même sens.
«L’intoxication par la nicotine liquide peut se produire de trois façons : l’ingestion; l’inhalation; l’absorption par la peau ou les yeux. […] Si vous craignez que votre enfant souffre d’intoxication par la nicotine, téléphonez immédiatement à votre centre de contrôle antipoison», préconise-t-on dans une page Web consacrée spécifiquement à cette question.
Encadrement législatif
Les pédiatres ont d’ailleurs adopté une série de recommandations à l’intention des pouvoirs publics. Ils réclament un encadrement législatif strict pour les vapoteuses. Dans la liste de leurs requêtes :
«Le conditionnement des e-liquides dans des contenants à l’épreuve des enfants, sur lesquels figurent des avertissements pertinents et explicites sur la toxicité.» Et l’interdit de la vente aux mineurs.
Le Parlement européen est d’accord. Autre continent, même constat:
«Les cigarettes électroniques et les flacons de recharge pourraient présenter un risque pour la santé s’ils sont manipulés par les enfants. C’est pourquoi il faut veiller à ce que ces produits soient munis d’un dispositif de sécurité pour enfants et d’inviolabilité reposant notamment sur un étiquetage, des fermetures et un mécanisme d’ouverture destinés à protéger les enfants», édicte une directive émise l’an dernier. On ajoute : «Il convient d’encourager les États membres à empêcher la vente de ces produits aux enfants et aux adolescents.»
La conclusion au Centre antipoison belge :
«S’il est nécessaire d’interdire aux enfants de jouer avec des cigarettes classiques, il est également impératif de les éloigner des cigarettes électroniques.»
Des symptômes d’une intoxication à la nicotine
- Maux de coeur, de ventre
- Vomissements
- Diarrhée
- Salive abondante
- Transpiration importante, sueurs froides
- Perte des urines
- Maux de tête
- Respiration rapide
- Troubles de la vue, de l’audition
- Confusion
- Perte de connaissance
- Arrêt respiratoire
Source : Direction de santé publique des Laurentides
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