La réalité virtuelle n’aurait pas juste du négatif. Il serait aussi un atout en chirurgie du cerveau, et même en psychiatrie
Nuage
Cerveau : quand la chirurgie éveillée se fait sous réalité virtuelle
Au CHU d’Angers, un patient s’est vu retirer sa tumeur alors qu’il était éveillé et plongé en immersion dans un univers de réalité virtuelle. ©2016 CERVO / Tous droits réservés
Par Hugo Jalinière
L’équipe du Pr Philippe Menei, neurochirurgien au CHU d’Angers a réalisé une 1ère mondiale : retirer une tumeur cérébrale d’un patient éveillé et plongé dans un univers de réalité virtuelle à l’aide d’un casque Oculus.
CERVEAU. C’est une première mondiale qui a été réalisée au CHU d’Angers : un patient a subi une chirurgie du cerveau en étant éveillé et, surtout, plongé dans un univers de réalité virtuelle grâce à des lunettes Oculus. Une technique inédite mise au point par le Pr Philippe Menei, son équipe du service de neurochirurgie et l’école d’ingénieurs ESIA. Le but de l’opération était de retirer une tumeur en s’assurant de ne pas endommager de fonctions cérébrales. Si le fait d’opérer une tumeur cérébrale alors que le patient est conscient n’est pas nouveau, se servir de la réalité virtuelle pour élargir les fonctions testées lors de l’opération est une innovation qui ouvre un vaste champ de recherche.
La réalité virtuelle pour tester des fonctions cérébrales complexes
« Le principe de la chirurgie éveillée du cerveau consiste à utiliser une électrode pour stimuler certaines zones avant d’y toucher, explique le Pr Menei interrogé par Sciences et Avenir. Par exemple, quand vous stimulez une zone impliquée dans le langage et que vous faites parler le patient en même temps, vous provoquez des troubles du langage ; ce qui signifie que vous êtes à côté d’un réseau important qu’il va falloir préserver lors du geste opératoire », poursuit-il.
Précisons que le cerveau est insensible à la douleur car il ne possède pas lui-même les terminaisons nerveuses transmettant le signal de la douleur.
« Il est assez facile de faire passer des tests de base comme le langage ou la lecture en montrant un écran sur tablette. Mais dès qu’on veut s’attaquer à des fonctions un peu complexes comme l’exploration de l’espace ou la prise de décision dans une situation donnée, ça devient plus compliqué. C’est là que la réalité virtuelle devient très intéressante car elle permet de plonger le patient dans un univers contrôlé et modulable. Il est ainsi possible de concevoir de nombreux tests qui vont mobiliser des fonctions très différentes à surveiller. »
Comment le cerveau explore l’espace
Par exemple, le recours au casque de réalité virtuelle inclut un système d’eye-tracking qui permet non seulement de contrôler les images que voit le patient mais de suivre le mouvement de ses pupilles.
« On peut ainsi précisément savoir en lui présentant un univers particulier comment il va explorer cet espace », explique le neurochirurgien.
En l’occurrence, c’est le champ visuel qui a été testé sur le patient opéré au CHU d’Angers.
« Comme il avait déjà perdu l’usage d’un œil lors d’un accident, il fallait à tout prix préserver ce qui lui restait de champ visuel. »
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’immersion s’est faite en 2D et non en 3D comme cela a pu être relayé par ailleurs.
Outre les bénéfices que les patients pourront tirer de l’arrivée de cette technique de réalité virtuelle en neurochirurgie, cette première mondiale ouvre un vaste champ d’interrogations sur le cerveau.
« À force de pouvoir tout tester, il y a un risque qu’on ne puisse plus rien faire, explique Philippe Menei. Imaginons que la technique devienne ultra-performante et qu’on parvienne à tester toutes les fonctions du cerveau, on va se rendre compte que le mythe selon lequel on n’utilise que 10 % de notre cerveau n’est décidément qu’un mythe et qu’en fait, tout sert à quelque chose. »
La technique soulève un certain nombre de questions
Il poursuit :
« Le cerveau est un peu comme un ordinateur, il y a des programmes système qu’il ne faut surtout pas toucher, et puis il y a comme une mémoire vive qu’on peut un peu atteindre sans que les conséquences soient trop importantes. Nous serions ainsi amenés à choisir les fonctions à sauvegarder en fonction du patient, de son activité professionnelle ou à ses choix (pratique du calcul mental pour les mathématiciens, préservation du champ visuel pour le conducteur de bus, etc.). À ce stade, la technique soulèvera un certain nombre de questions éthiques. »
L’autre question qui se pose est de savoir si une situation présentée en réalité virtuelle est interprétée de la même façon par le cerveau qu’une réalité existante.
« C’est une question sur laquelle travaillent déjà plusieurs équipes de neurosciences. Et c’est vrai que les techniques de réalité virtuelle – comme toutes les innovations de rupture – apportent finalement plus de questions que de réponses. Cela dit, la réalité virtuelle s’est déjà montré efficace pour traiter les phobies par exemple. Ce qui laisse croire que ce décalage entre réalité et virtualité n’est pas forcément un problème. Mais c’est clairement un champ à explorer », conclut le Pr Menei.