Les feux de forêts sont le malheur des uns et le bonheur des autres. La forêt boréale du Canada a besoin de ces incendies pour se régénérer. Les arbres ont des tactiques pour que leur mort puissent servir à redonner à leurs petits. Les insectes viennent profiter de ces endroits avec leurs prédateurs des oiseaux spécialistes des forêts incendiés.
Nuage
La renaissance dans les cendres de Fort McMurray

Des rejets de souche d’arbres feuillus comme les trembles et les peupliers apparaissent déjà, 7 semaines après le feu. PHOTO : RADIO-CANADA/PHIL LAPLANTE
Un texte de Sylvain Bascaron
Deux mois après que l’incendie de Fort McMurray eut ravagé une partie de la ville et des milliers de kilomètres carrés de forêt, déjà, dans cette même forêt, la vie reprend ses droits. Sur un fond noir d’arbres brûlés et de cendres, des tiges vertes s’élancent, des insectes s’installent et des oiseaux de nuit les pourchassent.
Si, pour l’humain, le feu est un ennemi mortel, pour les arbres de la forêt boréale, c’est un ingrédient absolument nécessaire.
Voyez comment la forêt de Fort McMurray reprend vie
La chercheuse du Service canadien des forêts Sylvie Gauthier explique que la forêt boréale est « adaptée au fait que les feux vont revenir à des intervalles plus ou moins fréquents. C’est une forêt où les espèces d’arbres ont développé toutes sortes d’adaptations pour faire face au fait que ces perturbations reviennent régulièrement ».
« Le tremble, par exemple, va subir les affres du feu, il va mourir, mais produira des rejets de souche en grande quantité suite au passage du feu. Le pin gris, poursuit-elle, qu’on retrouve dans les forêts qui ont brûlé, dépend vraiment du feu. Ses cônes, qui sont fermés par une cire, exigent qu’il y ait un feu pour s’ouvrir et répandre leurs graines. »
Les experts du feu
Il n’y a pas que les arbres qui sont adaptés à la présence récurrente du feu; des espèces d’insectes et d’oiseaux sont aussi des experts du bois brûlé. Au nord de Fort McMurray, un autre feu, plus grand que celui de cette année, a ravagé 7000 kilomètres carrés en 2011. Une équipe de biologistes de l’Université de l’Alberta s’y est installée pour l’été, et la doctorante Elly Knight compte y étudier l’engoulevent.

L’engoulevent est un oiseau de nuit qui vit dans les forêts brûlées et qui arrive facilement à s’y camoufler. PHOTO : RADIO-CANADA/PHIL LAPLANTE
« Cet oiseau de nuit est considéré comme un spécialiste des forêts brûlées, explique la chercheuse. Il a besoin d’espaces plus ouverts pour se nourrir, parce qu’il capte des insectes en plein vol, et les brasiers ouvrent de tels espaces. Il se nourrit plus spécifiquement de gros insectes, comme des coléoptères capricornes qui, eux, sont attirés par le bois brûlé dont ils se nourrissent. »
L’engoulevent qu’étudie Elly Knight est considéré comme une espèce menacée au Canada. Pourtant, la densité de sa population est très élevée au nord de Fort McMurray. La chercheuse n’a pas de preuve, mais elle croit que c’est possiblement un des endroits dans le monde où l’espèce est le plus présente. Et avec le feu qui vient de se produire à Fort McMurray, il y a fort à parier que l’engoulevent profitera de ce nouveau territoire au cours des prochaines saisons.
Une occasion unique pour les chercheurs
Les scientifiques auxquels nous avons parlé admettent que le feu de cette année est une catastrophe naturelle indescriptible pour les gens de Fort McMurray. Toutefois, ils y voient aussi une occasion unique, un laboratoire naturel qu’ils voudraient étudier de plus près.
Alexandre MacPhail fait partie de l’équipe de bio-acoustique de l’Université de l’Alberta, présentement déployée dans la région de Fort McMurray.
« Ce serait génial de faire de la recherche à cet endroit, pense-t-il. Les feux ne se produisent pas souvent si près des centres urbains. Beaucoup ont lieu dans des communautés rurales ou, pire, à des endroits où personne ne vit, et où on les laisse brûler. »
« Ce feu est un désastre, précise-t-il, mais il nous permet d’étudier la régénération d’une forêt à quelques minutes de marche d’une grande ville. »

Le coordonnateur logistique de l’équipe de bio-acoustique de l’Université de l’Alberta Alexandre MacPhail. PHOTO : RADIO-CANADA/SYLVAIN BASCARON
Changements climatiques
Si les assises de la régénération de la forêt boréale sont jetées dans les cinq années suivant un incendie, le statut de forêt mature ne lui est conféré qu’après 90 à 120 ans.
Avec les changements climatiques, explique Sylvie Gauthier, « les projections semblent indiquer que la fréquence des incendies sera plus élevée, que les aires brûlées seront supérieures et que la forêt aura de la difficulté à se refermer parce que les intervalles entre les feux pourraient raccourcir ».

Ce site qui a brûlé deux fois, à six ans d’intervalle (2008 et 2014), représente un accident de régénération. PHOTO : RESSOURCES NATURELLES CANADA/MARC PARISIEN
Si deux incendies se produisent à moins de cinq années d’intervalle, on assiste alors à un accident de régénération.
La chercheuse du Service canadien des forêts explique que « dans ce cas-là, les arbres n’ont pas eu le temps d’être matures sexuellement, donc n’ont pas eu le temps de stocker assez de graines pour régénérer la forêt ou ne sont pas assez vieux pour donner des rejets de souche ».
La nouvelle forêt mettrait alors plus de temps à reprendre ses droits, et le ferait avec une moins grande densité. Si les projections se confirment, et que les incendies sont plus fréquents, on peut donc s’attendre à des changements importants dans la forêt boréale.
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