Au Népal, la pauvreté, le manque d’éducation touche surtout les femmes. En plus, les femmes sont vues des êtres inférieures voir des objets que l’on peut disposer à sa guise. La traite d’être humain est une vraie plaie pour ce pays. Sois qu’elles n’ont pas d’autres choix pour survivre, ou encore des gens leur propose un travail pour aider à leur famille en promettant mer et monde ou pire que des amis ou leurs propres familles les laissent entre les mains de trafiquants pour satisfaire des hommes sans scrupules
Nuage
L’enfer des femmes népalaises victimes de traite sexuelle
TF
Cabin restaurant, Usha Bar, Kalanki, quartier de Katmandou —mars 2017 | Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme
Fanny Arlandis
«J’ai passé les quatre cinquièmes de ma vie de photoreporter à travailler sur l’atteinte aux droits humains, et particulièrement à ceux des femmes, dans plusieurs pays, dont la France, raconte la photographe française Lizzie Sadin. Alors quand j’ai vu que le thême du prix Carmignac était la traite des femmes, j’ai postulé», poursuit la lauréate du prix. «J’ai proposé de travailler sur le Népal car le tremblement de terre en 2015, qui a fait 9.000 morts, a aggravé la vulnérabilité des femmes. Elles sont devenues plus que jamais des proies pour les trafiquants, fragilisées par le chômage, la précarité ou la mort de leur mari dans la catastrophe».
«Au Népal, la traite des êtres humains est massive et plurielle depuis longtemps. L’extrême pauvreté, le manque d’éducation, l’analphabétisme touchent tous les Népalais, mais surtout les filles des territoires reculés. Or, 80% de la population habite dans ces zones. À cela s’ajoute le fait que les femmes sont vues comme des êtres inférieurs, voire comme des biens. Selon une étude du gouvernement népalais, la moitié des femmes sont confrontées à la violence au cours de leur vie. Presque toutes celles que j’ai interviewées disent avoir été violées par leur beau-père, un oncle ou un cousin. Elles se sauvent, errent, et finissent exploitées sexuellement. Sur cette photo, on peut voir Kopila, 18 ans, dans une cabine, un petit espace à l’intérieur d’un restaurant à l’abri des regards, où les hommes peuvent la toucher.»
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Usha Bar, Kalanki, quartier de Katmandou – mai 2017 | Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme
«La plupart de ces filles sont mineures. Elles travaillent dans des cabin restaurants, des dance bars, des dohoris (bars chantants) ou des “salons de massages”. Elles servent les hommes en boisson et doivent se laisser toucher. On leur promet bien souvent un salaire de 250 ou 300 euros, mais elles n’en gagnent que 50 ou 70 au final. À cela s’ajoutent les pourboires qu’elles obtiennent en fonction du nombre de boissons consommées par les clients, ce qui crée une rivalité entre les filles: celles qui font vendre le plus de boissons ont plus à manger. C’est terrifiant! Elles travaillent sept jours sur sept, sans repos, sans contrat et peuvent être renvoyées à tout moment. Elles ne peuvent pas dire à leur famille qu’elles travaillent là, de peur d’être déshonorées. Je trouve cette image forte car on voit les hommes dans le miroir, la patronne au centre et des filles, dont Nina qui n’a pas 15 ans.»
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Quartier de Nakhu, Katmandou —mars 2017 | Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme
«Une jeune femme attend le client dans la cabin restaurant. Le lieu est divisé en petites cabines en bois où les filles sont seules avec leur client. De nombreuses filles sont originaires des zones rurales et sont venues travailler dans la vallée de Katmandou. À la suite du tremblement de terre de 2015, beaucoup de ces filles se sont retrouvées sans toit, leur mari était mort et il y a eu une énorme féminisation des taches ménagères, familiales ou agricoles. Les femmes n’en peuvent plus. Alors quand quelqu’un leur fait miroiter un travail, l’obtention de bijoux et de beaux habits, la possibilité de nourrir leurs enfants, toutes y croient. Des hommes bien habillés arpentent ces territoires reculés et se font passer pour de riches commercants de Katamandou cherchant à se loger dans le village, afin de convaincre les filles. Les parents finissent par les inviter à diner et à dormir; c’est à ce moment-là que les hommes leur parlent de leur fille et leur proposent de l’emmener, pour la faire travailler et pour qu’elle ramène de l’argent. Les parents doivent payer les frais et le voyage. D’autres fois, les filles se font embarquer par des personnes de leur propre famille ou par des “amies” du village.»
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King Road Street, quartier central de Katmandou —avril 2017 | Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme
«Ces cabin restaurants ou ces bars dansants servent aussi de lieu de recrutement pour le trafic externe. Les filles sont envoyées en Inde: les Indiens aiment les Népalaises parce qu’elles sont belles et ont la peau claire. Elles sont jetées dans une chambre sans possibilité de s’échapper et ne sont pas nourries quand elles refusent de travailler. Depuis les années 2000, il y a un deuxième trafic vers les pays du Golfe, le Moyen-Orient, la Corée du Sud, la Chine et la Malaisie. Elles partent avec des passeports et de visas falsifiés par les trafiquants, qu’elles doivent ensuite rembourser. Elles sont sous le régime de la “kafala”, une sorte de “parrainage” qui stipule que le père de famille a tous les pouvoirs sur elle durant les deux ans que dure le contrat. Certaines dorment par terre, n’ont pas accès au téléphone, ne sont pas nourries, travaillent 21h par jour et sont parfois violées par leur patron.»
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Thamel, quartier central de Katmandou —mars 2017 | Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme
«Les contrats de travail sont la plupart du temps des faux. Même quand ils sont vrais, on ne leur montre qu’à l’aéroport, quand elles sont prêtes à embarquer. Or, comme beaucoup sont analphabètes, rares sont celles qui peuvent vérifier ce qu’on leur dit. Elles pensent aller travailler dans des usines textiles et deviennent des esclaves sexuelles. 300.000 femmes népalaises partent ainsi chaque année. Le trafic interne, lui, concerne 20.000 femmes, dont un tiers sont mineures. Au Népal, le suicide est la cause principale de mortalité des femmes de 15 à 49 ans. Tous les jours, cinq à sept corps reviennent dans des cercueils à l’aéoport de Katmandou: des femmes, mais aussi hommes travaillant dans le bâtiment, par exemple dans le Golfe. Ils sont âgés entre 18 et 35 ans en moyenne, et le gouvernement dit qu’ils sont morts de crise cardiaque. Mais des ONG militent pour réaliser des autopsies, car elles savent grâce aux témoignages qu’ils ont en réalité été victimes de mauvais traitements.»
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King Road Street, quartier central de Katmandou —avril 2017 | Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme
«Sur cette image, prise de façon cachée, le propriétaire du dance bar simule une scène de viol devant les clients. Je suis ensuite allée le voir pour lui demander pourquoi il avait fait ça: “pour que les clients aient envie de sexe”, a-t-il répondu. Je n’ai fait aucune photo à Katmandou le premier mois. J’ai arpenté ces bars et ces quartiers. Il a été difficile de gagner la confiance des ONG et des femmes. Au début, les patrons me refusaient l’entrée dans ces lieux fréquentés uniquement par des hommes. Mais j’ai continué à y retourner, à me faire jeter et finalement, on m’a permis de rester cinq minutes. Je ne posais pas de questions frontales qui auraient pu mettre les filles en danger devant leur patron.»
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Chabahil, quartier nord de Katmandou —avril 2017 | Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme
«Rita a 17 ans. C’est une “amie” de son village qui lui a proposé de partir pour l’Inde, avec des promesses d’argent et de bijoux. Arrivée là-bas, l’“amie” a disparu et Rita a été emmenée dans un bordel, sans comprendre ce qui lui arrivait. Elle a d’abord refusé de travailler mais a aussitôt été enfermée pendant une semaine avec juste assez de nourriture pour survivre. “Maquille-toi et mets ces vêtements… Qui va te donner à manger si tu ne travailles pas?” Elle n’avait aucun moyen de s’échapper et a été obligée de se prostituer. Les clients étaient violents et la battaient. Elle a finalement été libérée par un raid de la police, et l’organisation Shakti Samuha l’a ramèné au Népal.»
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Chabahil, quartier nord de Katmandou —avril 2017 | Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme
«Même chose pour Nilan, 21 ans. Lorsqu’elle avait 15 ans, une “amie” est arrivée chez elle avec de très beaux vêtements et des bijoux et lui a dit qu’elle pourrait en avoir autant si elle la suivait à l’étranger: “Je reviens d’Arabie Saoudite, tu verras, ce serait très bien pour toi.” Le voyage passe par Delhi, avec sept autres filles. Enfermées dans une chambre, elles attendent un faux passeport pour s’envoler vers le Kenya. Enfin, c’est ce que les trafiquants lui ont dit. Elle se retrouve en fait à Dubai. Elle devient femme de ménage pour une famille nombreuse, avec huit enfants. Forcée à travailler plus de vingt heures par jour, elle est mal nourrie et devient rapidement victime d’attouchements sexuels de la part des hommes de la famille. Suite à un viol, elle tombe enceinte et se fait renvoyer. On lui procure un emergency ticket, un billet d’avion gratuit pour se débarasser de ces femmes devenues encombrantes… Son patron la laisse à l’aéroport, non sans l’avoir violée une dernière fois. Mais, arrêtée par la police, elle passe trois mois en prison pour détention de faux passeport. Elle est ligotée, pieds et mains liés pendant sa grossesse. Une fois de retour au Népal, elle perd son enfant, mort-né. Elle a ensuite été recueillie dans un foyer. Un procès a eu lieu, mais le trafiquant a menacé sa famille si elle ne retirait pas sa plainte. Cette photo résume à elle seule plein de choses.»
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Bhairahawa, district de Sunauli —mai 2017 | Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme
«Leha de Ki Nepal (à gauche) suspecte cette femme qui voyage seule (à droite). Elle est confuse, se contredit, reste muette devant certaines questions. Les numéros de téléphones fournis ne répondent pas. Elle dit qu’elle va rejoindre un ami de l’autre côté de la frontière, mais n’est pas capable de l’appeler. Leha décide de l’emmener au commissariat de police pour pousser l’enquête. Elle pense qu’elle s’apprêtait à rejoindre un trafiquant. La jeune femme continue d’argumenter et tente de convaincre le policier qui surveille la cellule des détenus. L’homme derrière les barreaux, mis en garde à vue, porte un tee-shirt sur lequel il est écrit ‘“Je ne suis pas EN danger, je suis LE danger”.»
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Birgunj, district de Parsa —mai 2017 | Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du Photojournalisme
«Cet homme se trouvait dans une calèche avec une jeune femme. La police l’a interrogé. Il a répondu qu’elle était sa femme et qu’ils retournaient chez eux à Dehli. Elle restait silencieuse. Il se contredit, hésite puis fini par avouer qu’il est déjà marié avec une femme à Dehli et qu’elle est sa seconde femme, avant de prétendre qu’il avait “invité cette jeune femme à danser pour un mariage”. Il a évidemment été mis en garde à vue. Il encourt quinze à vingt ans de prison, jour et nuit. Le système népalais compte en effet les nuits et les jours séparément. Cela réduit la durée de détention de moitié…»