L’ADN est un outil très utilisé en enquête criminelle, cependant, même si la génétique est un très fiable, il peut y arriver des erreurs d’interprétation, de manipulations ou autre, qui peuvent condamner à tort des personnes qui n’ont aucun rapport avec le crime. Les séries policières règlent des crimes en 60 minutes, mais en réalité, cela peut prendre beaucoup plus de temps, et l’ADN ne devrait pas être le seul moyen pour une accusation
Nuage
Le pouvoir de l’ADN

Érigée en preuve irréfutable dans les enquêtes, la molécule n’est peut-être pas aussi infaillible qu’on pourrait le penser
L’ADN, simple molécule enfouie dans le noyau de nos cellules, est devenu un outil puissant qui permet aujourd’hui de démasquer rapidement les criminels et d’innocenter des suspects, voire des condamnés à mort. Érigée en preuve irréfutable, l’ADN n’est toutefois pas aussi infaillible que plusieurs le croient. Il nous faut garder un oeil critique, croit la généticienne française Catherine Bourgain.
Depuis 1992, l’association Innocent Project aux États-Unis a réussi à faire innocenter 266 condamnés, dont 17 attendaient dans les couloirs de la mort, en leur permettant de bénéficier de tests ADN.
« L’ADN est un artisan de lutte contre la peine de mort », souligne Catherine Bourgain dans ADN superstar ou superflic ? publié aux éditions du Seuil.
« Lorsqu’il arrive trop tard pour innocenter, l’ADN peut encore servir à dénoncer les erreurs judiciaires », ajoute-t-elle avant de relater le cas de Claude Jones, condamné à mort pour le meurtre d’Allen Hilzendager par la justice du Texas, laquelle fondait son jugement sur une analyse de la structure microscopique d’un cheveu retrouvé près de la victime.
George Bush, alors gouverneur de l’État, refusa d’accorder à Jones, qui clamait son innocence, le délai de 30 jours nécessaire aux analyses d’ADN complémentaires, et ce dernier fut exécuté le 7 décembre 2000. Ce n’est qu’en 2010 qu’Innocent Projet obtint l’autorisation d’analyser l’ADN du cheveu, qui s’avère ne pas appartenir à Jones…
Plus près de chez nous, l’ADN a permis de retrouver l’auteur du meurtre de la comédienne Denise Morel, qui incarnait Dame Plume dans La ribouldingue, 23 ans après qu’elle eut été battue à mort et violée en 1984, à Montréal. Lors de son arrestation en 2007, Gaétan Bissonnette a dû fournir un échantillon de son ADN, qui s’est avéré identique à celui contenu dans des poils pubiens retrouvés sur la victime…
À Paris, une bijoutière s’est fait cambrioler par deux hommes qui l’ont torturée pour avoir le code secret de son coffre-fort. Avant de partir, un des deux cambrioleurs lui a fait un bisou, a raconté Mme Bourgain en entrevue lors de son passage à Montréal à l’invitation du Coeur des sciences de l’UQAM. Quand les policiers sont arrivés sur les lieux du méfait, ils ont prélevé des cellules à l’endroit où le bisou avait été donné. Quelques mois plus tard, le type s’est fait arrêter dans un autre cambriolage à Marseille. Quand on a versé son ADN dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), on a pu faire le lien avec le même ADN déposé lors du baiser.
Une preuve irréfutable ?
« On laisse partout de notre ADN, que ce soit sous forme de poils, de cheveux, de peaux mortes sur un mégot ou un chandail, ou encore de sperme. Du coup, on peut retrouver sur une scène de crime de l’ADN qui n’a absolument rien à voir avec l’affaire. Les gens qui ont une certaine habitude le savent et font extrêmement attention de ne pas laisser leurs traces, mais c’est quand même très difficile de prendre la bonne distance quand on a retrouvé de l’ADN sur une scène de crime, sachant que l’ADN jouit d’une image de preuve irréfutable », fait remarquer la chercheuse en génétique humaine et statistiques à l’INSERM, en France, avant de rappeler l’affaire du« Fantôme de Heilbronn
L’analyse de l’ADN retrouvé sur la scène du meurtre d’une policière en 2007, dans cette ville du sud-ouest de l’Allemagne, avait conduit la police à associer cet ADN avec celui prélevé dans les enquêtes d’une trentaine de crimes et délits différents, et à imputer ces derniers à une mystérieuse tueuse en série. En 2009, on découvrit que les empreintes génétiques de cette supposée criminelle correspondaient en fait à celles d’une employée de l’entreprise qui fournissait le matériel pour les prélèvements.
Selon Catherine Bourgain, la preuve ADN n’est pas infaillible compte tenu des possibilités de contamination au moment du recueil des échantillons biologiques, de leur transport vers le laboratoire et de leur traitement pour en isoler l’ADN.
« Il y a aussi toujours la possibilité d’erreurs de manipulation, d’étiquetage, de saisie des données. »
La généticienne souligne également le fait que l’empreinte génétique obtenue dépend aussi du « choix des outils statistiques utilisés » et du choix que l’on s’accorde dans leur interprétation. « On est toujours dans des probabilités parce que l’ADN ne parle pas. C’est toujours nous qui le faisons parler », dit-elle.
Catherine Bourgain s’interroge aussi sur la réelle utilité des grands fichiers d’empreintes génétiques dont se sont dotés une cinquantaine de pays dans le monde.
« Comme pour toute technologie, la question est de savoir quel est l’intérêt par rapport aux risques. Quels sont les risques associés à ces grandes bases de données par rapport au nombre de cas qui sont effectivement retrouvés grâce au fichier ? Ne suffit-il pas de comparer l’ADN des suspects potentiels avec l’ADN prélevé sur la scène du crime, sans passer par une base de données ? »
Ces questions ont été soulevées en Angleterre et un rapport d’enquête a conclu que ces grands fichiers risquent de« modifier la présomption d’innocence pour les individus qui sont dans le fichier
« L’ADN jouit d’un statut hors norme dans la pratique, de sorte que, si l’ADN retrouvé sur une scène de crime concorde avec celui d’une personne inscrite dans le fichier, c’est assez difficile d’aller contre », fait remarquer Mme Bourgain, tout en présentant un exemple récent d’assassinat avec cambriolage survenu aux États-Unis qui démontre les dangers d’une telle assomption.
« On a retrouvé de l’ADN sur la scène du crime et, quand on a consulté le fichier national, on est tombé sur une personne dont l’ADN concordait avec celui qui avait été prélevé. Cette personne a été arrêtée et mise en prison. Bien heureusement, on a poursuivi l’enquête et on s’est alors rendu compte qu’au moment des faits, cette personne était internée à l’hôpital pour une crise de démence : elle ne pouvait donc pas être sur les lieux du crime au moment de l’assassinat. On a alors mis en cause le brancardier qui avait été appelé pour prendre en charge la crise de démence, et qui avait contraint physiquement la personne en crise et l’avait conduite à l’hôpital. Ensuite, le brancardier était allé commettre son méfait. Mais comme il était porteur de l’ADN de la personne démente, il l’avait déposé de façon involontaire sur les lieux du crime », raconte la chercheuse.
Série télé et sens critique
Mme Bourgain s’inquiète de l’importance prise par l’analyse des empreintes génétiques dans les enquêtes policières.
« Les policiers qui sont formés à travailler avec de l’ADN ont plus tendance à investiguer les enquêtes où il y a de l’ADN par rapport à celles où il n’y en a pas. Les enquêtes criminelles dans lesquelles aucun ADN n’est identifié seraient plus facilement mises de côté dans un souci d’efficacité », indique-t-elle.
De plus, « les jurés qui sont habitués à voir des séries policières dans lesquelles tout est résolu facilement par l’ADN ont du coup tendance à considérer la preuve ADN avec un regard critique trop faible. […]
Cette image de science florissante et ultratechnologique a souvent des effets dévastateurs sur le sens critique, ajoute-t-elle.Il faut toujours rester prudent et vigilant. Il n’est pas question de bannir l’utilisation de l’ADN, mais simplement il faut connaître toutes ces histoires et garder notre sens critique. »
La Banque nationale de données génétiques du Canada
C’est en 2000 que le Canada s’est doté d’une banque de données génétiques dans le but d’aider les services de police à travers le pays à identifier les auteurs de crimes non résolus. La Banque nationale de don- nées génétiques (BNDG) est sous le contrôle du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada. Elle est constituée de deux répertoires : un fichier de criminalistique, qui, le 30 avril dernier, comptait 106 532 profils génétiques et un fichier des condamnés, qui en comprenait 303 456, pour un total de 415 988 profils génétiques. La BNDG détient donc le profil génétique d’environ 1,2 % de la population canadienne.
Le fichier de criminalistique contient tous les profils génétiques associés aux substances corporelles qui ont été trouvées sur le lieu d’une infraction ou d’un crime.
Ce fichier est alimenté par trois laboratoires. Le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale de Montréal y dépose les informations génétiques provenant des scènes de crimes survenus au Québec. Le Centre of Forensic Sciences de Toronto fait de même en Ontario, et les Services de laboratoire judiciaire de la GRC couvrent les crimes perpétrés dans le reste du Canada. Une fois intégré à la BNDG à Ottawa, un profil génétique retrouvé sur une scène de crime dans une province est comparé aux profils génétiques associés aux autres dossiers présents dans le fichier de criminalistique afin de retrouver de possibles correspondances.
Le fichier des condamnés comprend quant à lui le profil génétique des personnes reconnues coupables d’infractions primaires (crimes graves contre la personne, parmi lesquels figurent les agressions sexuelles, la pornographie juvénile, les agressions armées, les homicides et les tentatives de meurtre ainsi que les vols qualifiés) et secondaires (harcèlement criminel, proférer des menaces, voies de fait). Les échantillons de tissus corporels (de sang, de salive ou de cheveux) prélevés sur les contrevenants sont envoyés à la BNDG à Ottawa, où on procède à une analyse génétique. Le profil génétique ainsi obtenu est ensuite déposé dans le fichier. Il est alors comparé avec les profils génétiques enregistrés dans le fichier de criminalistique. S’il s’avère identique à l’un d’entre eux, l’information est communiquée au laboratoire ayant fourni l’échantillon d’ADN prélevé sur la scène du crime, qui, après des vérifications d’usage, le transmet à son tour au service de police responsable du dossier.
Les enquêteurs peuvent aussi fournir un échantillon d’ADN d’un suspect relié à un dossier d’agression sexuelle non résolu, dont des éléments biologiques ont déjà été versés dans le fichier de criminalistique. Si l’ADN du suspect s’avère identique à celui présent dans le fichier, il y aura procès et l’individu verra son profil génétique intégré au fichier des condamnés.
Les échantillons de tissus corporels et les résultats de l’analyse génétique doivent être détruits lorsque la personne visée n’est plus un suspect ou a été acquittée lors d’un procès en appel.
Au moment de la création de la BNDG, un Comité consultatif de la BNDG a été mis sur pied. Cet organisme indépendant est chargé de surveiller tous les aspects du processus de mise en oeuvre et les opérations de la Banque et d’en rendre compte chaque année au Commissaire de la GRC.
États-Unis, Royaume-Uni et France
Les États-Unis possèdent la plus grosse banque de données génétiques avec près de sept millions de profils, soit environ 2 % de la population américaine. Le fichier national du Royaume-Uni (le NDNAD) compte pour sa part cinq millions de profils, ce qui représente 8 % des habitants du pays. La banque existe depuis 1995. En France, le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) renferme pour sa part le profil génétique de plus de 2,5 millions de personnes, soit plus de 3 % de la population française.
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