Les archéologues ont pu mettre à jour quelques bâtiments mayas au Salvador qui étaient ensevelis sous des cendres volcaniques. Ces découvertes permettent de mieux comprendre la vie sociale de ce peuple disparu
Nuage
La vie figée de Joya de Cerén
Trois bâtiments de Cerén : une habitation (à gauche), une grange (premier plan) et le sauna communautaire (arrière plan).
Université du Colorado
François Savatier
Figée sous la cendre volcanique il y a 1 450 ans, la vie quotidienne du village de Cerén, au San Salvador, nous renseigne sur la société maya. L’influence des élites semble y avoir été étonnamment discrète.
L’un des vases polychromes mis au jour à Cerén. Cette céramique de luxe a probablement été échangée contre des produits du village dans l’un des marchés de la vallée.
Université du Colorado
La « route blanche » aussi appelée sacbé que les archéologues ont mis au jour à Cerén sous plus de cinq mètres de cendre. D’une largeur de deux mètres et flanqué de part et d’autre de fossés, il a été construit par accumulation et compactage de tephra (éjecta volcaniques). Des routes comparables ont été retrouvées chez les Mayas du Yucatan. Des traces de pied ont été retrouvés sur les bas-côtés de ce chemin. Les archéologues supputent que les habitants ont fui l’éruption en l’empruntant.
Université du Colorado
Une nouvelle campagne de fouille vient d’avoir lieu dans le « Pompéi des Amériques ». On surnomme ainsi les restes du village maya de Cerén, dans le centre-ouest du Salvador, brusquement figé sous une couche de cendres de 5,2 mètres d’épaisseur crachées par le volcan de San Salvador vers 660 de notre ère. L’équipe de Payson Sheets, de l’Université du Colorado, vient de publier ses derniers résultats de fouilles. Les archéologues ont mis en évidence les relations entre divers acteurs du village, qu’il s’agisse de familles paysannes, d’anciens, d’artisans à temps partiel ou d’autres membres de la communauté.
Jusqu’ici, les chercheurs ont fouillés douze bâtiments, parmi lesquels des habitations, des granges, des ateliers, des cuisines, des bâtiments religieux et une sorte de sauna communautaire. Il reste certainement de nombreux autres bâtiments à mettre au jour, et sans doute aussi plusieurs autres villages cachés sous les cendres volcaniques de la même éruption, qui couvrent plus de cinq kilomètres carrés. Pour le moment, aucun corps n’a été retrouvé, ce qui suggère que les villageois ont eu le temps de s’échapper avant l’éruption.
Les dernières traces de la vie quotidienne des villageois ont été si bien préservées par la cendre que les chercheurs ont retrouvé des traces de doigt sur des bols ou des traces de pied dans le sol des jardins (ceux ci sont reconnaissables aux traces qu’ont laissé les épis de maïs et autres plants de manioc dans les murs de cendre). Les archéologues ont retrouvé des toits de chaume, des couvertures tissées et des jarres remplies de haricots. Détail remarquable : la première pièce de l’un des bâtiments communautaires était équipée de deux larges bancs, où selon Payson Sheets, des « anciens » ou des individus éminents devaient se réunir pour prendre les décisions communautaires, telles les date de la fête de la récolte ou des libations rituelles, l’organisation des travaux de maintenance, etc.
Toutefois, les traces de vie retrouvées ont surtout l’intérêt de nous renseigner sur la socio économie maya. On avait jusque là l’image d’une société régie verticalement et de façon autoritaire par de puissantes élites vivant dans des villes aux réseaux de voies bien tracés, où les palais le disputaient aux temples et aux tombes monumentales, et qui exigaient un tribut des communautés villageoises de leur région. C’est pourquoi le fait que les villageois de Cerén semblent avoir été parfaitement libres de leur constructions, pratiques agricoles ou activités religieuses a frappé les archéologues.
Ces villageois ne semblent avoir eu des relations avec les élites que lorsqu’ils se rendaient sur les places de marché de la vallée Zapotitan pour échanger leurs surplus de céréales et le produit de leur artisanat contre des haches de jade (« l’acier » de la mésoamérique), des couteaux d’obsidienne (un verre volcanique), ou des céramiques colorées. Toutes les familles de Cerén possédaient en effet une hache de jade, qui servait à abattre des arbres et à travailler le bois. Près d’un quart des céramiques trouvées dans le village étaient polychromes. Selon les chercheurs, les villageois choisissaient le marché où ils se rendaient en fonction des taxes qui y étaient appliquées.
« S’ils pensaient que tel endroit était trop cher, ils allaient ailleurs, et ils avaient le choix entre une douzaine de marchés », souligne Rachel Egan, qui a mené les fouilles avec Payson Sheets. « C’est la première fois qu’une fenêtre s’ouvre sur les activités quotidiennes et la vie des Mayas du peuple. À Cerén, nous ne constatons aucune trace d’influence des élites, et certainement pas d’un contrôle qu’elle auraient exercées.»
Peut-être, mais alors d’où viennent ces routes de cendre blanche tassée bordées de ruisseaux, les sacbés – littéralement « chemins blancs » –, qui semblent avoir relié les villages de la région ? Les archéologues en ont mis un au jour sur une longueur de 150 mètres. Ils pensent que ce sacbé menait jusqu’à la ville voisine de San Andrès, de fondation maya. La découverte d’un chemin blanc est d’autant plus notable que de telles routes n’étaient jusqu’à présent connues que dans la péninsule du Yucatan, à quelque 800 kilomètres de Cerèn. contrairement à ceux du Yucatan, le scabé de Cerén n’est pas bordé de pierres de chaque côté. Il paraît neuf : l’un de ses fossés venait tout juste d’être aménagé. Il semble qu’il partageait le village en deux zones et menait à la place centrale et vers deux structures religieuses : un grand bâtiment cérémoniel et une structure utilisée par une shaman. Les mesures de résistance indiquent que le sacbé est extrêmement dur, ce qui prouve qu’il a été soigneusement damé par des ouvriers qui en ont tassé la surface pendant des jours en se servant d’instruments durs. Au Salvador, les ingénieurs du génie civil connaissent bien les excellentes qualités mécanique des remblais de téphras (éjectas volcaniques) semblables à ceux qui constituent lesacbé de Cerén. La construction en conditions humides facilite l’imbrication des micro grains d’éjectas volcaniques, ce qui permet d’obtenir des routes particulièrement dures.
Pour les archéologues, le sacbé est le résultat d’un travail collectif très bien organisé. Par qui ? Cela reste un mystère, mais il s’agissait en tout cas d’une autorité présente localement. Les archéologues pensent que cela a fort bien pu être une assemblée communautaire. Plusieurs constatations suggèrent en effet que la communauté villageoise était organisée à l’échelle collective. Ainsi, certaines familles semblent avoir été plus particulièrement chargées de maintenir certains équipements. La maison de l’une d’entre elles, par exemple, regorgeait de pots et de bois de chauffage. Les archéologues soupçonnent que ceux-ci servaient à faire fonctionner le sauna collectif, où jusqu’à 12 personnes pouvaient s’asseoir tandis que l’on versait de l’eau sur un foyer central afin de créer de la vapeur. Ainsi, pour les archéologues, les « élites » exerçaient très peu d’influence directe sur la vie des villageois, qui s’organisaient de façon autonome.
Toutefois, on peut leur objecter que le fait que la communauté villageoise ait pris en charge les infrastructures régionales qui se trouvaient sur son territoire peut résulter de la pression d’une élite, même indirecte. Manifestement, le sacbé de Cerén répondait à une norme routière, qui, à quelques nuances près, se retrouve à 800 kilomètres de là. Si de telles normes existaient à une échelle aussi grande, n’est-ce pas parce qu’une élite souhaitait maintenir des réseaux de communication et d’échanges de grandes ampleur ? Notamment pour contrôler les communauté villageoises si besoin…