Une épidémie de mort à cause des opioïdes. Au début, ce fût des surprescriptions de médicaments anti-douleurs qui a été encouragée par l’industrie pharmaceutique. Puis les gens n’ayant plus de prescription pour éviter l’accoutumance, se sont viré vers le marché noir. Le problème pour ces gens et pour les consommateurs de drogues dures, les laboratoires clandestins font des mélanges qui sont 100 à 10 000 fois plus puissants que la morphine
Nuage
Opioïdes: autopsie d’une crise
Par Annie Labrecque –
L’an dernier seulement, plus de 64 000 Américains et 2 800 Canadiens ont succombé à une dose mortelle d’opioïdes. Cette inquiétante vague de décès continue de s’amplifier.
Avec quelle force frappera-t-elle le Québec ?
Sinistre, effrayante, intenable; médecins, politiciens et chercheurs sont désormais à court de mots pour décrire l’ampleur de la crise des opioïdes qui, aux États-Unis, toutes les trois semaines, fait autant de victimes que les attentats du 11 septembre 2001. Le portrait n’est pas plus rose au Canada : le pays affiche le deuxième plus haut taux de consommation d’opioïdes par personne, après les États-Unis. En 2016, on comptait 978 décès en Colombie-Britannique, 586 en Alberta et 865 en Ontario. Dire que la crise est sans précédent est un euphémisme. Les victimes ? D’une part, les consommateurs de drogues dures et, d’autre part, des gens « ordinaires » qui deviennent accros aux opioïdes prescrits par leur médecin.
Multifactoriel, l’abus d’opioïdes s’est construit sur une longue période en s’intensifiant dans les années 2000. À l’origine de la crise, la surprescription de ces médicaments analgésiques par les médecins depuis les années 1980, une tendance largement encouragée par l’industrie pharmaceutique. Les opioïdes, qui prennent des noms aussi divers que morphine, codéine, oxycodone, hydromorphone ou fentanyl, existent depuis longtemps pour soulager la douleur aiguë. Inoffensifs lorsque bien utilisés sur une courte période, ils calment les maux de dos, aident à récupérer d’une chirurgie ou apaisent la douleur pendant l’accouchement. Mais, sans encadrement, ils procurent aussi un effet euphorique et créent rapidement une dépendance, assortie d’un besoin progressif d’augmenter les doses.
En effet, le quart des personnes à qui sont prescrits des antidouleurs pour des pathologies autres que le cancer deviennent dépendantes, selon une analyse publiée en décembre 2016 par le Center for Disease Control. Encore plus alarmante, une étude de la University of Arkansas for Medical Science, publiée en mars 2017, rapporte que le risque de dépendance s’accroît chaque jour de traitement. Cela devient d’autant plus difficile pour ces patients de diminuer les doses ou d’arrêter la prise d’antidouleurs.
Lorsque leur prescription n’est plus renouvelée, ces gens se tournent parfois vers le marché noir. Avec le risque de tomber sur du fentanyl ou du carfentanil fabriqués dans des laboratoires clandestins. Ces opioïdes sont respectivement 100 et 10 000 fois plus puissants que la morphine. Dans la rue, on les retrouve combinés de façon sournoise à des doses d’héroïne et de cocaïne ou, encore, intégrés dans des médicaments contrefaits. Les doses sont disproportionnées, aléatoires et souvent fatales : il ne faut pas plus de 2 mg de fentanyl pour provoquer une surdose mortelle, le plus souvent par détresse respiratoire (ralentissement extrême de la respiration).
Le Québec échappera-t-il à cette épidémie ?
Illustration: Dushan Milic