Le Saviez-Vous ► 30 millions d’agents : Les animaux sont-ils le futur de l’es­pion­nage ?


Vous vous souvenez en avril dernier du béluga qui semblait domestiqué avait approché des pêcheurs en Norvège ? On a cru que c’était un espion pour le compte des Russes. Est-ce vrai ? Personne ne peut l’affirmer. Quoiqu’il en soit, il existe bel et bien des organisations qui utilisent des animaux pour l’espionnage. Il y a à les animaux marins, les oiseaux et des animaux terrestres. Pour ma part, on devrait laisser les animaux s’occuper de leurs propres tâches au lieu de les mêler aux idioties humaines.
Nuage


30 millions d’agents : Les animaux sont-ils le futur de l’es­pion­nage ?


Espions redoutablement discrets, les animaux accèdent à des endroits hors de portée des humains. Et leur intelligence est de mieux en mieux comprise.


par Mathilda Caron

Le mystère du beluga

Dans le nord de la Norvège, aux confins de l’océan Arctique, les vagues viennent mourir contre le récif aussi vite qu’elles naissent. En explo­­sant sur les coques de quelques bateaux, l’eau glacée inonde leurs ponts. Ce 25 avril 2019, près de l’île d’Ingøya, un petit groupe de pêcheurs attend patiem­­ment que des pois­­sons se prennent dans ses filets lorsqu’il aperçoit un animal au loin. Sous le ciel gris, les trois frères Joar, Havard et Erlend Hesten sont inter­­­loqués devant son corps laiteux, qui contraste avec les flots verdâtres. Ils découvrent avec surprise qu’il s’agit d’un béluga. L’ani­­mal s’ap­­proche sans crainte, comme s’il avait besoin d’aide, puis suit le navire jusqu’à Hammer­­fest, sur le conti­nent.

Un détail les intrigue : le cétacé porte un harnais, sur lequel ils parviennent à lire une inscrip­­tion :

« Équi­­pe­­ment de Saint-Péters­­bourg». Les trois hommes prennent des photos, des vidéos et envoient le tout à la direc­­tion de la pêche norvé­­gienne. Le béluga est rapi­­de­­ment soupçonné d’ap­­par­­te­­nir à l’ar­­mée russe et d’être… un espion. « Il a incon­­tes­­ta­­ble­­ment été entraîné », déclare Martin Biuw, cher­­cheur à l’Ins­­ti­­tut de recherche marine norvé­­gien de Bergen.

Or la marine russe « est connue pour entraî­­ner les belu­­gas à conduire des opéra­­tions mili­­taires », ajoute le biolo­­giste de la direc­­tion des pêches norvé­­gienne Jorgen Ree Wiig. « Ils gardent les bases navales, aident les plon­­geurs ou retrouvent de l’équi­­pe­­ment perdu. »

Même si « personne ne peut affir­­mer qu’il s’agit d’un animal mili­­taire », dixit Martin Biuw, et que certains croient recon­­naître en lui un théra­­peute pour enfants, les soupçons demeurent.

Car le voisin russe a l’ha­­bi­­tude de former des animaux à des fins d’es­­pion­­nage. En annexant la Crimée il y a cinq ans, à la faveur d’un mouve­­ment de rébel­­lion en Ukraine, Moscou a récu­­péré la flotte de mammi­­fères marins sur-entraî­­nés qui se trou­­vait dans la base mili­­taire de Sébas­­to­­pol.

Crédits : Jorgen Ree Wiig

Cette armada animale formée sous l’Union sovié­­tique a vite été reprise en main.

« Les ingé­­nieurs de l’Ocea­­na­­rium créent de nouveaux instru­­ments en vue d’uti­­li­­ser plus effi­­ca­­ce­­ment les grands dauphins et les otaries. Nos spécia­­listes œuvrent pour conce­­voir des appa­­reils envoyant un signal de détec­­tion d’une cible sous-marine par le dauphin sur l’écran d’un ordi­­na­­teur », explique un employé du centre de forma­­tion de dauphins à l’agence de presse russe RIA Novosti.

Mais à en croire Kiev, la forma­­tion à échoué. « Les animaux ont refusé de coopé­­rer avec les dres­­seurs russes et de manger. Ils en sont morts », a rapporté le repré­­sen­­tant ukrai­­nien pour la Crimée, Boris Babin.

En 2016, le minis­­tère de la Défense russe a aussi acheté plusieurs dauphins au delphi­­nium de Moscou, sans préci­­ser ce qu’il enten­­dait en faire. Les Améri­­cains doivent avoir une petite idée sur la ques­­tion. Aux États-Unis, la DARPA (l’agence de recherche mili­­taire du Penta­­gone) songe à utili­­ser des pois­­sons et autres animaux marins afin de détec­­ter les sous-marins enne­­mis dans les eaux inter­­­na­­tio­­nales. En 2018, elle annonçait le lance­­ment du Persistent Aqua­­tic Living Sensors (PALS), un projet qui consiste à placer des capteurs sur des animaux marins afin qu’ils réagissent au passage de submer­­sibles dans leur envi­­ron­­ne­­ment. Russes et Améri­­cains s’épie­­raient ainsi en eaux profondes, comme du temps de la guerre froide.

Zoo d’es­­pions

Dans les années 1960, le Krem­­lin et la Maison-Blanche ont investi beau­­coup de temps et d’argent afin de déter­­mi­­ner comment les animaux pour­­raient deve­­nir des espions. Les experts du Zoo IQ de Hot Springs, dans l’Ar­­kan­­sas, avaient notam­­ment passé un contrat avec le gouver­­ne­­ment pour former des animaux spécia­­li­­sés dans le travail de défense et de rensei­­gne­­ment.

« Il n’y a jamais eu un animal que nous ne pouvions pas entraî­­ner », confie le direc­­teur prin­­ci­­pal du programme, Bob Bailey.

Bailey doit cette idée à Burrhus Frede­­ric Skin­­ner, un psycho­­logue influencé par les travaux du célèbre méde­­cin et physio­­lo­­giste russe Ivan Pavlov. Formé à l’uni­­ver­­sité de Saint-Péters­­bourg, Pavlov est célèbre pour avoir montré l’exis­­tence d’un « réflexe condi­­tionné » chez le chien.

Au milieu du XXe siècle, Skin­­ner popu­­la­­rise pour sa part le « condi­­tion­­ne­­ment opérant ». Cette forme de dres­­sage par la répé­­ti­­tion repose sur deux éléments : le renfor­­ce­­ment posi­­tif, par l’ajout d’un stimu­­lus agis­­sant sur l’or­­ga­­nisme, et le renfor­­ce­­ment néga­­tif, par le retrait d’un stimu­­lus. Le psycho­­logue entre­­prend d’in­­fluen­­cer le compor­­te­­ment d’un animal au cours d’une expé­­rience. Il enferme un rat affamé dans une boite où se trouve un levier. Si le rat actionne ce levier, un morceau de nour­­ri­­ture tombe auto­­ma­­tique­­ment. Ce levier devient ainsi la seule chose impor­­tante pour le rongeur. En répé­­tant une action, il prend l’ha­­bi­­tude de la faire.

Crédits : IQ Zoo

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Skin­­ner reçoit un finan­­ce­­ment de la Défense pour un programme de recherche impliquant des pigeons. Le projet n’abou­­tit fina­­le­­ment pas mais il donne une idée à deux de ses étudiants. L’un d’eux, Keller Breland, ouvre le Zoo IQ avec sa femme, en 1955 à Hot Springs. Les visi­­teurs payent pour les voir pratiquer ce condi­­tion­­ne­­ment opérant sur des ratons-laveurs. Dix ans plus tard, Bob Bailey rejoint le Zoo IQ, au moment où des agences gouver­­ne­­men­­tales commencent à s’y inté­­res­­ser.

« Ils sont venus vers nous pour résoudre des problèmes épineux », explique Bailey.

C’est ainsi que naît le Navy’s Marine Mammal Program.

Jusqu’aux années 1960, la plupart des animaux utili­­sés lors de conflits étaient terrestres ou aériens. Pendant la Première Guerre mondiale, les moutons servaient à démi­­ner les terrains, les chevaux à trans­­por­­ter les soldats, les chiens à livrer des messages et les pigeons prenaient des photos. Mais quand l’océan se peuple de sous-marins russes et sovié­­tiques, chacun trouve un moyen de voir sous l’eau sans être vu.

Cher­­cheuse en écolo­­gie marine à l’uni­­ver­­sité norvé­­gienne de Trømso, Marie-Anne Blan­­chet a passé 15 ans à entraî­­ner des mammi­­fères marins.

« Ils ont des capa­­ci­­tés de nage et de plon­­gée qui sont évidem­­ment extrêmes, et ils sont beau­­coup moins soupçon­­nables que des plon­­geurs humains », explique-t-elle.

La plupart du temps, ils sont envoyés pour faire du repé­­rage, mais ils peuvent aussi réali­­ser des missions plus méti­­cu­­leuses.

« Je sais que des dauphins ont déjà été utili­­sés pour placer des mines sous les bateaux enne­­mis », raconte Martin Biuw.

Cet exemple rappelle les chiens anti-chars envoyés par les Sovié­­tiques se faire sauter sous les blin­­dés alle­­mands, pendant la Seconde Guerre mondiale.

« Le proces­­sus d’en­­traî­­ne­­ment reste le même pour tous les animaux, c’est du condi­­tion­­ne­­ment opérant », pour­­suit Marie-Anne Blan­­chet.

Cela dit, certaines espèces s’avèrent plus effi­­caces que d’autres. Les dauphins souf­­fleurs et les phoques se sont montrés très perfor­­mants lors de plusieurs études, tandis que les bélu­­gas sont trop sensibles au froid et ne font pas preuve du même profes­­sion­­na­­lisme. On ne les a pas moins enrô­­lés pour effec­­tuer certaines tâches.

« Bien que les diffé­­rentes armées aient toujours été très à l’aise avec le fait d’uti­­li­­ser des animaux, les missions pour lesquelles ils sont entraî­­nés sont plus secrètes », pour­­suit Marie-Anne Blan­­chet. « En prin­­cipe, ce sont des missions de recon­­nais­­sance. »

Mais jusqu’où peuvent-ils aller ?

Matou acous­­tique

Pour les services de rensei­­gne­­ment, un animal a l’avan­­tage de ne pas être soupçon­­nable. La CIA a ainsi cher­­ché à s’ap­­puyer sur l’ap­­pa­­rence inof­­fen­­sive (quoique) des chats. Dans les années 1960, elle lance l’opé­­ra­­tion « Acous­­tic Kitty ». Le but est de créer un chat-espion en lui implan­­tant des micros et des trans­­met­­teurs radio afin qu’il écoute des conver­­sa­­tions à des endroits stra­­té­­giques. Pour sa première mission, le félin est lâché dans un parc près de l’am­­bas­­sade d’URSS, mais il est immé­­dia­­te­­ment renversé par un taxi. Des montagnes d’ef­­forts sont terras­­sés en une seconde. L’échec est patent. Après plusieurs tenta­­tives, les experts concluent qu’en­­traî­­ner des « chats espions » ne paye pas.

Jack H. Hethe­­ring­­ton croit davan­­tage en eux. Ce physi­­cien de l’uni­­ver­­sité du Michi­­gan juge son chat si doué qu’il signe un article scien­­ti­­fique de sa patte. Le nom F. D. C. Willard qui appa­­raît sous l’ar­­ticle e 1980 « L’hé­­lium 3 solide : un anti­­fer­­ro­­ma­­gné­­tique nucléaire » est ainsi celui de l’ani­­mal. Une étude parue dans la revue Beha­­viou­­ral Processes en 2016 montre d’ailleurs que les félins ont une mémoire épiso­­dique et qu’ils comprennent certaines lois de la physique.

Acous­­tic Kitty

Ces recherches ne permettent pour l’heure pas à la CIA, au FSB ou à la DGSI de les enrô­­ler. Fina­­le­­ment, les agences s’en remettent à de bonnes vieilles méthodes. En 2016, le Liban capture un vautour qui porte une bague d’iden­­ti­­fi­­ca­­tion israé­­lienne ainsi qu’un émet­­teur. Les auto­­ri­­tés liba­­naises sont persua­­dées qu’il s’agit d’une tactique d’es­­pion­­nage de la part d’Is­­raël, et ce ne serait pas la première fois. Quelques mois plus tôt, des membres du Hamas ont capturé un dauphin équipé de camé­­ras, au large de la bande de Gaza. Ils le suspectent immé­­dia­­te­­ment d’ap­­par­­te­­nir à l’État hébreux. À la même période, l’Inde accu­­sait le Pakis­­tan de lui envoyer des pigeons espions.

En théo­­rie, les candi­­dats au poste d’es­­pion sont nombreux : les pieuvres démontrent des capa­­ci­­tés d’in­­tru­­sion hors du commun et les primates étonnent par leurs apti­­tudes quasi-humaines. Leurs compor­­te­­ment sont d’au­­tant plus promet­­teurs que nous avons encore beau­­coup à en apprendre sur eux.

« Je ne pense pas qu’ils pour­­ront un jour commu­­niquer quoi que ce soit par eux-mêmes », nuance Martin Biuw. « Mais ils peuvent aider les services de rensei­­gne­­ment par le biais d’équi­­pe­­ments plus évolués, comme une caméra ou un micro plus sophis­­tiqués, augmen­­tés d’IA, par exemple. »

Couver­­ture : Animal AI Olym­­pics

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