L’univers fascinant de l’astronomie chinoise


Quand nous entendons parler de nébuleuses, comètes, étoiles, c’est souvent par des scientifiques de la NASA ou par l’agence spatiale européenne. Il y a aussi dans l’histoire spatiale des manuscrits dans certaines civilisations. La Chine est un bel exemple à savoir en astronomie. Grâce à leurs observations qu’ils ont notées sur des manuscrits au cours des millénaires. Aujourd’hui, il est remarquable de voir autant de précisions sur les supernovae, la nébuleuse du Crabe. Ils ont même noté les 29 passages depuis l’an -240 à nos jours la comète de Halley, ainsi qu’-200 av J.C, ils savaient que le Soleil avait des taches.
Nuage


L’univers fascinant de l’astronomie chinoise avec Jean-Marc Bonnet-Bidaud


Floriane Boyer

Rédactrice

L’astrophysicien Jean-Marc Bonnet-Bidaud nous emmène à la découverte des trésors longtemps ignorés de l’astronomie chinoise, riche de plusieurs millénaires, marquée par une rigueur scientifique avant-gardiste et des observations minutieuses des évènements astronomiques les plus remarquables. Encore aujourd’hui, ces données profitent à notre compréhension de l’univers..

Pour Jean-Marc Bonnet-Bidaud, astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), tout a commencé avec la fin cataclysmique des étoiles : les supernovae. De ces spectaculaires explosions d’astres mourants ne subsiste qu’une nébuleuse de gaz, appelée rémanent, formant un cocon en expansion autour d’un noyau très dense. Mais au départ, les supernovae figurent parmi les phénomènes les plus violents et lumineux de l’univers, tant et si bien que depuis la Terre, elles peuvent paraître telles de nouvelles étoiles brillant durant des mois, voire des années. Ce sont les mystérieuses « étoiles invitées », décrites depuis déjà plus de 3.000 ans par les astronomes chinois. 

Grâce à un partenariat entre le CEA et la Chine, Jean-Marc Bonnet-Bidaud s’est rendu dans un laboratoire de Pékin pendant un an, à la fin des années 1980. Cette première immersion dans la culture de l’Empire du milieu aura le goût d’une révélation, avec la découverte de la richesse vertigineuse de l’héritage chinois en matière d’astronomie, encore trop largement dédaignée de nos jours.

Jean-Marc Bonnet-Bidaud est astrophysicien au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), également historien des sciences et vulgarisateur scientifique à ses heures. © Jean-Marc Bonnet-Bidaud

Jean-Marc Bonnet-Bidaud est astrophysicien au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), également historien des sciences et vulgarisateur scientifique à ses heures. © Jean-Marc Bonnet-Bidaud

De cette expérience naîtra l’ouvrage 4.000 ans d’astronomie chinoise : les officiers célestes (2017), retraçant l’histoire de cette discipline commencée vingt siècles avant notre ère, jalonnée par des découvertes capitales, faites souvent avec beaucoup d’avance par rapport à la civilisation européenne. Jean-Marc Bonnet-Bidaud revient pour nous sur sa passionnante exploration de l’astronomie chinoise.

La nébuleuse du Crabe : première plongée dans l’astronomie chinoise

Mon travail a été d’essayer de retrouver les restes d’explosions d’étoiles. Quand j’ai commencé, il y a une trentaine d’années, on en connaissait à peu près cent. Maintenant, on en compte des milliers. Quelques-unes ont explosé durant les 2.000 dernières années. Donc à certaines époques, elles ont été observées par les civilisations humaines.

Une civilisation sans pareil dans le monde

Une des plus importantes nébuleuses qui a été décelée était la nébuleuse du Crabe. Or, le texte le plus précis décrivant cette explosion était un manuscrit chinois de 1054. La première surprise pour moi était que des gens l’avaient vue dans le ciel et l’avaient noté, cela suffisamment précisément pour que je puisse m’en servir presque mille ans après. Ils donnaient la date, la durée(deux ans) et la luminosité (aussi brillant que Vénus). Cela nous permet de reconstituer aujourd’hui ce qui s’est passé, la température du gaz, le temps pris pour refroidir, la quantité de matière éjectée, la puissance de l’explosion.

L'explosion d'une étoile massive (supernova), apparaissant telle une nouvelle étoile (étoile invitée ou guest star, en anglais) dans le ciel le 4 juillet 1054, a été consignée dans les archives d'astronomie chinoises (passages indiqués par les traits rouges). © DP

L’explosion d’une étoile massive (supernova), apparaissant telle une nouvelle étoile (étoile invitée ou guest star, en anglais) dans le ciel le 4 juillet 1054, a été consignée dans les archives d’astronomie chinoises (passages indiqués par les traits rouges). © DP

Une de mes découvertes fut qu’il ne s’agissait pas d’une observation isolée, d’une coïncidence. Non seulement les astronomes chinois ont observé le ciel, mais cela en continuité pendant 2.000 ans (début de la dynastie des Han à maintenant) et ils ont tout noté, de manière très scientifique. C’est une civilisation sans pareil dans le monde. Aucun autre pays n’a des écrits pendant aussi longtemps. Les civilisations astronomiques n’ont duré que quelques centaines d’années (sauf peut-être la civilisation égyptienne mais il reste malheureusement peu de traces). 

Reconstitution de la supernova observée en 1054 par des astronomes chinois qui donna naissance à la somptueuse nébuleuse du Crabe telle que nous la voyons aujourd’hui, avec en son centre, le pulsar restant de l’explosion de l’étoile. © bonnetbidaud.tv

Supernovae, comètes, taches solaires : trois grandes découvertes

J’ai voulu sélectionner pour l’ouvrage les objets qui ont encore une importance aujourd’hui dans la science moderne, où les données chinoises peuvent encore être utilisées. Parmi ces objets, il y a bien sûr les supernovae. Après avoir catalogué tout ce qu’ont dit les chinois [sur les étoiles invitées], nous pouvons pointer nos satellites [dans la direction indiquée] et dans de multiples cas nous avons pu retrouver les restes de l’explosion. À l’aide de ces nébuleuses, on a compris toute la vie des étoiles et leur importance pour la composition de l’univers. Encore tout dernièrement, on a redécouvert des nébuleuses correspondant à des textes chinois.

Ensuite, les astronomes chinois notaient tout sur les comètes (trajectoire, forme, etc.). On a retrouvé dans les chroniques les 29 passages [sans exception] de la comète de Halley depuis l’an -240 à nos jours. On s’est alors rendu compte que son orbite n’est pas régulière et qu’il n’est pas toujours simple de reconstituer la trajectoire des comètes.

Catalogue des comètes daté du IIème siècle av. J.-C. (dynastie des Han), décrivant la diversité des formes du noyau et des queues. © DP

Catalogue des comètes daté du IIème siècle av. J.-C. (dynastie des Han), décrivant la diversité des formes du noyau et des queues. © DP

Les astronomes chinois ont aussi été les premiers à remarquer que le Soleil avait des taches (dès -200 av. J.-C.). Grâce à leurs archives, nous avons vu pu confirmer que les cycles de l’activité solaire sur onze ans existaient déjà depuis 2.000 ans. En Europe, on ne pouvait remonter que 400 ans en arrière [observations de Galilée et d’autres astronomes].

Une contribution passée sous silence en Occident

Le problème, c’est que nous sommes restés imperméables à tout cela en Europe. C’est une erreur idéologique, historique et scientifique. Il faut qu’on fasse l’effort de s’informer et de restituer le fait qu’ailleurs dans le monde des choses scientifiques importantes ont été réalisées.

On gagnerait à élargir notre point de vue

Je m’aperçois qu’il y a un mode de pensée oriental très différent du mode occidental. Nous sommes satisfaits de notre méthode, qu’on peut qualifier d’analytique et de théorique, consistant à démonter toute la machine pour regarder comment chaque pièce fonctionne. Mais à la fin, les choses sont tellement séparées les unes des autres qu’on ne comprend plus leur relation et le fonctionnement global. En Orient, ils ont une méthode analogique et empirique : en observant un objet et en le comparant à d’autres, ils cherchent à comprendre le fonctionnement interne de la machine sans avoir à faire l’inventaire de ce qui est à l’intérieur.

Le saviez-vous ?

En tant que « fils du ciel », l’empereur chinois devait connaître tout ce qui se passait dans le ciel. Un intérêt particulier était porté aux phénomènes inhabituels ou transitoires, d’où l’observation minutieuse des « étoiles invitées », alors qu’en Europe, la « sphère céleste » a longtemps était considérée comme un ouvrage divin immuable. 


Quelle place pour la Chine sur la scène spatiale internationale ?

À l’heure actuelle, la science moderne se heurte à des murs. On a l’impression qu’on gagnerait à élargir notre point de vue. Il y a forcément beaucoup de choses à apprendre d’une autre culture, surtout la culture chinoise qui est globale et multimillénaire. 

Je pense que les Chinois ont déjà fait des choses intéressantes. Ils ont envoyé le premier Chinois dans l’espace [Yang Liwei en 2003], ils ont fait une station spatiale orbitale [Tiangong 1 en 2011], ils ont déposé un rover sur la Lune [Chang’e 3 en 2013], puis sur la face cachée [Chang’e 4 en 2019]. Et ils vont ramener des échantillons lunaires [Chang’e 5, lancement prévu fin 2019], ils vont marcher sur la Lune [ambition dès 2030]… Pour l’instant, ils font de la science importée de l’extérieur et ils le font très bien. À terme, je souhaite, qu’ils apportent leur pierre à l’édifice en nous disant :

« Mais nous, on ne se pose pas les mêmes questions que vous ».

Si on est intelligent, on a tout intérêt à collaborer avec la Chine, car elle nous servira de locomotive.

Jean-Marc Bonnet-Bidaud a étudié la plus ancienne carte céleste qui nous soit parvenue, produite en Chine entre 649 et 684 ap. J.-C. Appelée carte céleste de Dunhuang, elle a été tracée « de façon scientifique, avec une projection simple », mais cela fait des astronomes chinois de vrais précurseurs en matière de cartes d'étoiles. Elle contient quelque 1.300 étoiles. Cette carte apparaît sur la couverture de l'ouvrage 4.000 ans d'astronomie chinoise. © DP

Jean-Marc Bonnet-Bidaud a étudié la plus ancienne carte céleste qui nous soit parvenue, produite en Chine entre 649 et 684 ap. J.-C. Appelée carte céleste de Dunhuang, elle a été tracée « de façon scientifique, avec une projection simple », mais cela fait des astronomes chinois de vrais précurseurs en matière de cartes d’étoiles. Elle contient quelque 1.300 étoiles. Cette carte apparaît sur la couverture de l’ouvrage 4.000 ans d’astronomie chinoise. © DP

Les Chinois sont-ils conscients de leur richesse ?

Non, pas tout à fait. Ils ont un peu oublié leur culture, comme nous oublions la nôtre. Moi, petit Européen qui n’y connaissait pas grand-chose, je me suis demandé comment allaient réagir les Chinois [par rapport à l’ouvrage]. Mais – et j’en suis très honoré – ils ont apprécié ma présentation synthétique. À leur demande, le livre va être traduit et je serai en Chine au mois de septembre pour former des étudiants à une approche moderne de l’histoire des sciences. Ils se rendent déjà compte qu’il est important de raccorder toutes leurs découvertes actuelles à leur culture ancienne profonde et si particulière en astronomie.

Un satellite franco-chinois, une nouvelle astrophysique de laboratoire et autres projets

La médiation scientifique m’a amené à réfléchir à d’autres domaines, comme la cosmologie. Je prépare un livre avec Thomas Lepelletier, où je tente d’expliquer pourquoi on est incapable de produire un modèle [de l’univers] qui marche.

Être au démarrage de quelque chose qui va révolutionner l’astrophysique est assez excitant

Je prépare aussi un autre ouvrage sur les grandes découvertes chinoises, hors de l’astronomie, ayant irrigué la civilisation européenne (par exemple, l’étrier, la poudre à canon ou encore la boussole). Je travaille également sur un satellite gamma franco-chinois nommé SVOM (Space-based multi-band astronomical Variable Objects Monitor) pour regarder les explosions d’étoiles.

Le satellite Space-based multi-band astronomical Variable Objects Monitor (SVOM) va étudier les sursauts gamma émis notamment lors des explosions d'étoiles massives. Il sera lancé fin 2021 ou début 2022. © Cnes, CNSA

Le satellite Space-based multi-band astronomical Variable Objects Monitor (SVOM) va étudier les sursauts gamma émis notamment lors des explosions d’étoiles massives. Il sera lancé fin 2021 ou début 2022. © Cnes, CNSA

Nous sommes aussi en train de monter un projet très prometteur sur une astrophysique en laboratoire. On s’est aperçu qu’on pouvait produire avec les lasers les plus puissants des conditions équivalentes à celles autour des étoiles. Comme on a vu émerger l’astrophysique des simulations numériques, dans le futur on verra apparaître de véritables expériences astrophysiques, comme faire des étoiles en laboratoire ! Être au démarrage de quelque chose qui va révolutionner l’astrophysique est assez excitant.

https://www.futura-sciences.com/

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