Transformer un café en laboratoire, pour étudier l’héritage culturel. En effet, il semble que notre comportement dans un café puisse dévoiler des attitudes individualistes ou communautaristes.
Nuage
La manière de boire votre café peut révéler votre héritage culturel
Des scientifiques ont observé des gens en train de boire leur café dans six grandes villes de la Chine afin d’étudier leur comportement en public. Photo : iStock
Votre comportement en public dans un café peut en dire long sur qui vous êtes. C’est ce qu’ont montré des scientifiques américains et chinois qui ont étudié les traces de certains héritages culturels en observant le comportement d’individus dans des enseignes Starbucks.
Un texte de Renaud Manuguerra-Gagné
Prendre le temps d’observer des gens entre deux cafés permet de remarquer un nombre surprenant de détails. Pour des chercheurs, cette observation aurait permis de vérifier la validité de certaines théories reliant l’héritage culturel à des attitudes individualistes ou communautaristes. C’est la surprenante conclusion d’une nouvelle étude publiée dans le journal Science Advances.
La communauté scientifique a déjà montré qu’une partie de notre héritage culturel a un rôle à jouer dans notre façon d’agir. Étonnamment, un aspect qui revient souvent dans ces études est la façon dont nos ancêtres produisaient leur nourriture.
La comparaison peut avoir l’air étrange, puisque de nos jours plus de la moitié de la population mondiale vit dans des villes. Il faut toutefois rappeler que pendant une bonne partie de l’histoire de l’humanité, la plus grosse activité quotidienne était de produire de la nourriture par l’agriculture ou l’élevage. Après 9000 ans, ces activités ont pu influencer le comportement des habitants d’une région.
En Chine, où l’étude a été réalisée, on retrouve une distinction assez tranchée entre les populations du nord et du sud du pays. Historiquement, le nord est une région productrice de blé, dont la culture traditionnelle ne nécessite pas un très grand nombre de personnes.
De leur côté, les régions du sud sont davantage impliquées dans la production de riz. Cette culture nécessite un énorme travail d’irrigation et ne peut être réussie que si plusieurs familles travaillent ensemble.
Ces différences pourraient laisser des traces, même auprès de familles ayant délaissé l’agriculture depuis plusieurs générations.
Par exemple, d’autres études ont déjà permis d’observer une tendance intéressante en Chine : les personnes qui avaient été élevées dans le nord présentaient certains traits jugés plus individualistes, tandis que celles en provenance du sud semblaient plus communautaristes.
Transformer un café en laboratoire
Les chercheurs ont associé ces différences à l’héritage culturel, mais il est difficile de voir le véritable comportement d’individus au travers de questionnaires et d’études en laboratoire.
Pour confirmer ces données dans des situations réelles, les chercheurs ont observé l’attitude de gens dans des cafés Starbucks de six grandes villes : Pékin et Shenyang, au nord, ainsi que Shanghai, Nanjing, Guangzhou et Hong Kong, au sud.
Les environnements très similaires présents dans chacun des établissements de la multinationale ont permis aux chercheurs d’éliminer une importante cause de variabilité entre les régions, laissant plus de place à l’héritage culturel.
Dans un premier temps, 9000 personnes ont été observées. Dans les régions du nord, près de 10 % de personnes fréquentent seules les cafés, par rapport aux enseignes situées dans le sud. Ce constat suggère un plus haut degré d’individualisme.
Pour poursuivre leur analyse, les chercheurs se sont basés sur d’autres études psychologiques montrant que, lorsqu’il est confronté à un problème, un individualiste tentera de changer la situation alors qu’un communautariste s’y adaptera
Des chaises pour étudier les comportements
Pour passer, une personne doit obligatoirement déplacer la chaise ou se glisser entre les deux. Photo : Science Advances
Pour observer cette différence dans un lieu public, les chercheurs ont conçu un piège. Deux chaises ont été placées entre des rangées de tables. Pour passer, une personne devait soit déplacer une chaise, une attitude où l’on prend contrôle de l’environnement, soit se glisser entre les deux, ce qui témoignerait d’une attitude plus effacée.
Là encore, il y avait trois fois plus de personnes qui déplaçaient les chaises dans le nord que dans le sud.
Les chercheurs ont remarqué que l’urbanisation n’était pas la source des comportements plus individualistes. Même les personnes vivant dans des mégapoles du sud, comme Hong Kong, avaient plus tendance à aller prendre des cafés en groupe, par rapport à des villes du nord, comme Pékin.
Cette uniformité des comportements régionaux semble montrer un lien entre les normes culturelles et notre attitude en public.
Cette étude à elle seule n’est toutefois pas suffisante pour prouver que le mode de vie de nos ancêtres peut avoir de telles répercussions dans notre comportement.
Par contre, passer du temps dans des cafés reste une façon agréable d’essayer de confirmer des études en laboratoire.