Cela s’est passé au Canada quand le Sida est apparu dans le pays. Bien qu’on ne savait pas grand chose de cette maladie, la Croix-Rouge du Canada a stigmatisé la communauté haïtienne sans raison logique. Tout drogué, ceux atteint de VIH/Sida, les homosexuels ainsi que les Haïtiens ne devaient pas faire des dons de sang. C’est comme dire que les noirs sont porteurs de Sida. Vous imaginez la méfiance des personnes qui voulaient un logement ou n’importe quoi d’autres … ? Alors qu’il y a des maladies génétiques qui ont besoin de transfusion sanguine avec un même bagage génétiques causaient un réel problème dans les banques de sang. Aujourd’hui, encore … Cette stigmatisation a encore des effets négatifs parmi les plus vieux, les uns restant avec leurs préjugés, les autres avec une blessure profonde
Nuage
Don de sang : 35 ans plus tard, les répercussions d’un communiqué
Communiqué du 10 mars 1983 de la Croix-Rouge canadienne demandant à certaines personnes et communautés de ne pas donner leur sang. Photo : Courtoisie: Viviane Namasté
En 1983, la Croix-Rouge canadienne publie un communiqué déconseillant aux homosexuels, aux héroïnomanes et aux Haïtiens de donner leur sang. Trente-cinq ans plus tard, le souvenir de cette époque est toujours douloureux pour des Haïtiens vivant au Canada, l’impact s’est même fait sentir dans le programme du don du sang.
Un texte de Marie-Laure Josselin
Marlène Rateau ne peut oublier ce 10 mars 1983, lorsque les médias parlent de cette mystérieuse maladie pour évoquer le communiqué de la Croix-Rouge canadienne qui fait le lien entre le VIH/sida et la communauté haïtienne à laquelle Marlène appartient.
« De la colère, de la colère, raconte en grinçant les dents celle qui a été infirmière puis enseignante. Je me disais que ce n’est pas possible que je vive dans un pays de droits et que les droits soient bafoués par nul autre qu’un organisme international! »
Marlène Rateau, ancienne infirmière et enseignante Photo : Radio-Canada/Marie-Laure Josselin
Le premier cas officiel du sida avait été signalé au Canada en 1982. Un an plus tard, 27 autres cas avaient été répertoriés.
Emboîtant le pas aux États-Unis, la Croix-Rouge canadienne cible alors trois communautés et leur demande de ne pas donner leur sang.
Pour la communauté noire, c’est le choc. Sur la place publique, la visibilité de leur couleur de peau les associait à la maladie.
La stigmatisation était grave aussi pour les autres, mais ils pouvaient se diluer dans la population. Mais nous? 1983, pour les Noirs, c’était : « Il a probablement le sida, je ne m’assoirai pas à côté de lui dans l’autobus, car je ne veux pas attraper ce mal. » C’était épouvantable!
Marlène Rateau
Même dans les hôpitaux, le personnel venait chercher les collègues d’origine haïtienne « pour leur dire : tu devrais t’occuper de ce patient, il a ta maladie. Ça arrivait », raconte Marlène Rateau.
« Plein de gens m’ont dit cela », confirme Viviane Namasté, titulaire de la Chaire de recherche sur le VIH/sida et la santé sexuelle à l’Université Concordia.
Depuis cinq ans, elle s’intéresse à ce sujet. Et elle aussi, elle a entendu plusieurs histoires, notamment celles de locataires potentiels qui demandaient au propriétaire de logement où il y avait eu des Haïtiens de le désinfecter au complet.
Les gens pensaient que le sida était comme une maladie contagieuse, facile à attraper. Et c’est la compréhension de la maladie à ce moment : comme un petit rhume que l’on peut attraper. Pour se protéger, la personne allait s’éloigner physiquement de la personne soupçonnée d’être infectée. Viviane Namasté, titulaire de la Chaire de recherche sur le VIH/Sida et la santé sexuelle à l’université Concordia
Pourtant, à l’époque, on ne sait quasiment rien sur le virus. La Croix-Rouge ne publie qu’en 1984 un dépliant où il est question de sida, mais il ne fait mention ni des signes ni des symptômes. Ce qui ne l’empêche pas de publier deux communiqués dans l’année 1983 demandant à certaines communautés d’éviter de donner leur sang, et ce, même si la communauté haïtienne l’alertait sur cette stigmatisation.
On ne ciblait pas des personnes pour leur comportement ou à cause d’une pratique, mais selon leur nationalité. Le communiqué a été reçu comme une insulte et une blessure qui a marqué les gens.
« Aujourd’hui encore, je ne leur pardonne pas », répète Marlène Rateau.
À l’époque, elle tentait d’organiser des collectes de sang afin de soulager les patients atteints d’anémie falciforme, une maladie du sang qui touche majoritairement la communauté noire.
Pour exprimer la douleur que représente l’anémie falciforme, une maladie du sang, on pourrait prendre l’exemple du piment. Ça brûle, pique, c’est chaud dans tout le corps car la douleur peut débuter à un doigt, un bras, une jambe. Photo : Radio-Canada/Marie-Laure Josselin
Selon l’association d’anémie falciforme du Québec, la maladie est plus répandue que toute autre maladie génétique. Une personne de race noire sur 10 en a le gène et un enfant sur 400 de la communauté à risque en est atteint. Les transfusions sanguines sont nécessaires pour soulager les patients, faute de remèdes.
On ne peut pas transfuser uniquement sur la base du groupe sanguin, il faut aller au-delà, sinon la personne peut faire des réactions. C’est plus facile de trouver du sang compatible chez les personnes qui partagent le même bagage génétique, d’où l’importance d’encourager les gens de la communauté noire à donner du sang, car c’est un vrai besoin. C’est crucial! Wilson Sanon, président de l’association d’anémie falciforme du Québec.
Fin des années 70, lors de ces collectes, Marlène Rateau avait déjà du mal à trouver beaucoup de donneurs, « et 1983 est arrivé et a tout bousillé ».
Un an plus tard, le Comité consultatif national sur le sida a aussi distribué 200 000 exemplaires d’un dépliant faisant encore une fois le lien entre le sida et les trois communautés.
On ne parlait pourtant pas dedans de port de préservatif et on pouvait y lire que si vous ne faisiez pas partie de ces groupes, vous ne courriez presque aucun risque de contracter le sida.
Les membres de la communauté haïtienne ont rué dans les brancards pour essayer de comprendre.
« Pourquoi, pourquoi alors qu’il y a encore tant de questionnements, cibler une communauté entière? »
« Les traces de cette blessure existent toujours, assure Viviane Namasté. Les gens m’ont dit qu’ils en avaient parlé à leurs enfants et leurs petits-enfants. C’est sûr qu’il y a eu un transfert générationnel de cette histoire. »
Marlène, comme d’autres, n’a pas encouragé ses enfants à donner leur sang. Le traumatisme est trop grand…
Peut-être, ose-t-elle avancer, que les jeunes peuvent passer par-dessus, mais « pas une vieille comme elle ». Sans ce communiqué, elle l’assure, elle aurait inculqué ce « geste de générosité » à sa famille.
L’anémie falciforme : Je ne connaissais pas cette pathologie.