Pour ceux qui s’intéressent comme moi à l’archéologie, dans le domaine de l’évolution humaine, ces quelques mois ont été vraiment fructueuse. Avec des nouvelles technologies, la collaboration internationale fait reculer l’apparition de l’homme de plusieurs milliers d’années
Nuage
L’origine de l’homme moderne nous réserve-t-elle d’autres surprises?

Illustration de l’évolution humaine Photo : iStock
En quelques mois seulement, 2017 a étonné les anthropologues de la planète : l’analyse d’outils et d’ossements fossilisés a fait reculer à au moins trois reprises l’apparition de notre espèce sur Terre et en Amérique. Une année exceptionnelle pour la science puisqu’elle bouleverse les théories acquises à ce jour.
Un texte de Daniel Blanchette Pelletier
Des restes humains, des outils en pierre et des ossements d’animaux fossilisés, retrouvés sur le site archéologique de Djebel Irhoud, au Maroc, ont permis de situer l’être humain sur le continent africain il y a environ 315 000 ans, soit 100 000 ans plus tôt qu’on le croyait.
La conclusion de l’équipe de chercheurs à l’origine de cette découverte sans précédent se retrouve dans de nouvelles études publiées récemment dans la revue Nature.
La datation des sédiments a été obtenue par thermoluminescence, une méthode qui consiste à dater d’autres objets retrouvés sur le site, plutôt que les ossements, comme des morceaux de galets brûlés par le feu à l’époque.
« En les chauffant à nouveau, l’énergie emmagasinée dans le silex est libérée. Et on peut la comparer, en calculer l’irradiation, et déterminer l’âge de l’occupation du site archéologique », explique Daniel Richter, de l’Institut allemand Max-Planck d’anthropologie évolutionniste, qui a daté les fossiles retrouvés au Maroc.
« C’était la seule façon de procéder pour dater d’aussi vieux ossements », ajoute le chercheur, qui se dit surpris d’en être arrivé à un chiffre aussi reculé dans le temps.
Les dents ont pour leur part été datées grâce à la résonance de spin électronique (une autre méthode de datation) pour contre-vérifier les résultats obtenus.
Un bond de 100 000 ans

Reconstruction faciale réalisée à partir des fragments d’un crâne d’Homo sapiens trouvé au Maroc Photo : Hublin/Ben-Ncer/Bailey
Le plus vieil être humain moderne connu à ce jour remontait à environ 200 000 ans. Ses restes avaient été retrouvés en Éthiopie. L’Afrique de l’Est était depuis considérée comme le berceau de l’humanité.
Les travaux effectués au Maroc bouleversent donc deux fois plutôt qu’une : l’être humain est non seulement beaucoup plus âgé qu’on le croyait, mais il était aussi présent dans toute l’Afrique.
D’autres surprises en Amérique
Au début de l’année, des travaux menés à l’Université de Montréal ont permis de chiffrer la présence de l’humain en Amérique à plus de 20 000 ans, grâce à l’analyse au radiocarbone d’artéfacts provenant de grottes dans le nord du Yukon.
L’être humain aurait donc peuplé le continent 10 000 ans plus tôt qu’on le croyait au départ. Sauf que, peu après, des travaux, cette fois menés aux États-Unis, ont donné lieu à une autre théorie, selon laquelle les premiers hommes avaient plutôt foulé le sol de l’Amérique il y a 130 000 ans.

Les os du mastodonte découverts en 1993 près de San Diego Photo : La Presse canadienne
La professeure au département d’anthropologie de l’Université de Montréal Ariane Burke qualifie de formidables les avancées de la science depuis le début de l’année, bien qu’il ne soit pas si étonnant, selon elle, que des artéfacts et des sites archéologiques soient redatés.
Ce qui fait l’éclat et attire l’attention en 2017, c’est qu’on repousse encore plus loin les origines de l’homme. Ariane Burke, archéologue et anthropologue
« Au fil des années, on ajoute des précisions sur des dates imprécises avec l’objectif d’affiner notre chronologie », ajoute-t-elle.
Les fragments de Djebel Irhoud, au Maroc, ont été retrouvés en 2004. Il a ensuite fallu plus de 10 ans pour les dater et contrevérifier les résultats obtenus avant d’être présentés la semaine dernière.
Le site archéologique avait révélé ses premiers secrets dans les années 60, mais c’est justement parce que les chercheurs de l’Institut Max-Planck doutaient des chiffres obtenus à l’époque qu’ils ont repris les fouilles. Les sédiments qui y étaient restés ont donc fait l’objet de nouvelles analyses.
« Depuis une vingtaine d’années, on a vu beaucoup de progrès dans les méthodes de datation, explique Ariane Burke. Les sites fouillés plus récemment peuvent être repris, parce que des sédiments ont été laissés en place en prévoyant qu’il y aurait peut-être des avancés dans les techniques archéologiques qui nous permettraient de revenir sur les lieux et de poser de nouvelles questions ».
Faire le point
L’archéologie n’a pas fini de révéler tous ses secrets sur l’être humain. Daniel Richter concède lui-même qu’avec le perfectionnement des technologies, d’autres découvertes pourraient le surprendre à nouveau.
De très vieux fossiles se cacheraient d’ailleurs toujours en Afrique, ce qui s’explique, selon plusieurs archéologues, par le manque de fouilles sur le continent.
La professeure Burke cite d’ailleurs un quatrième cas, en 2017, qui a cependant moins retenu l’attention : celui de la découverte, en Afrique du Sud, de nouveaux restes de l’Homo naledi, un cousin de l’Homo sapiens. Si on estimait à l’origine qu’il avait vécu il y a environ un ou deux millions d’années, il a plutôt été daté récemment entre 236 000 et 335 000 ans et aurait donc cohabité avec l’homme moderne, bouleversant l’ordre établi dans la chaîne de l’évolution.
« Je pense qu’on peut s’attendre à d’autres nouveautés et découvertes. On a une espèce qui a une portée géographique très vaste », poursuit Ariane Burke, en rappelant que des collaborations internationales et le perfectionnement des technologies permettent justement d’écrire l’histoire de l’être humain avec plus de précision.
« C’est ça la science, résume-t-elle. On émet des hypothèses, on les teste, puis on les ajuste. C’est un domaine très enrichissant et en plein mouvement ».
Les découvertes de cette année en archéologie et en anthropologie montrent qu’une chose est certaine : l’histoire de l’humain réserve encore des surprises.
http://ici.radio-canada.ca