Pour moi, un légume ça pousse dans la terre, mais aux États-Unis à cause des compressions budgétaires (autour de 2011) et le lobbysme, la pizza est devenu étrangement un légume. Drôle de façon de lutter contre l’obésité
Nuage
Comment la pizza est devenue un légume aux États-Unis
Michel C. Auger
Les membres du Congrès américain, qui sont au plus bas dans les sondages d’opinion, ont trouvé un nouveau moyen de se rendre ridicules en décrétant que la pizza était un légume.
En fait, la pizza s’est retrouvée au mauvais endroit, au mauvais moment. À l’intersection des compressions budgétaires idéologiques, d’un processus législatif dépassé et de la force des lobbys.
Les compressions budgétaires
L’administration Obama avait proposé de limiter la malbouffe dans les cafétérias scolaires. Sauf qu’un repas bien équilibré coûte un peu plus cher que la restauration rapide. Quatorze cents de plus par repas, ce qui, en cinq ans, aurait tout de même coûté 6,8 milliards de dollars au trésor fédéral.
C’était trop pour les républicains au Congrès qui cherchent partout des moyens de réduire les dépenses, y compris dans les cafétérias scolaires. Alors, le meilleur moyen d’avoir plus de légumes, c’est de changer la définition d’un légume. C’est ainsi que la loi prévoit désormais que la sauce tomate présente sur une pointe de pizza lui permet de se qualifier comme une portion de légume.
Ce n’est pas la première fois qu’on essaie quelque chose du genre. Sous l’administration Reagan, il y a 30 ans, on avait tenté de considérer le ketchup comme un légume, pour les mêmes considérations budgétaires. Sauf qu’alors, le côté ridicule de l’affaire avait fait reculer les amis du ketchup…
Le processus législatif et budgétaire
La seconde difficulté est le processus législatif et budgétaire américain. La question de la pizza n’était qu’un petit article d’un énorme projet de loi budgétaire qui comptait des centaines d’éléments disparates.
Un membre démocrate du Congrès expliquait son vote avec candeur dans une entrevue télévisée : la loi comprenait aussi des projets auxquels il tient. Dans son cas, c’était une augmentation des budgets de l’aide juridique et des fonds pour des trains à haute vitesse.
« J’aurais pu voter contre la loi à cause de la pizza, mais cela aurait été voter contre ce pour quoi je me bats depuis des années. »
Les projets de loi budgétaires sont devenus des monstres législatifs qui comprennent des centaines, voire des milliers, d’articles et qui font l’objet d’un marchandage constant entre les partis et les divers comités du Congrès. On vote sur l’ensemble et pas sur chacun des éléments. C’est à prendre ou à laisser. Cela donne, à la fin, des aberrations – comme la pizza qui devient un légume –, qui sont dûment approuvées par le Congrès.
Les lobbys
Enfin, il y a les lobbys. On estime qu’il y a, à Washington, 22 lobbyistes pour chaque législateur. Les lobbys sont bien organisés, puissants et, depuis un récent arrêt de la Cour suprême, ils peuvent donner autant d’argent qu’ils le veulent à une campagne électorale.
Dans ce cas, les lobbys de la pizza et des frites congelées sont immédiatement intervenus. Tous les arguments étaient bons avec, au premier rang, la déréglementation chère aux républicains. Le gouvernement fédéral ne doit pas dire aux enfants et aux autorités locales ce qu’ils doivent manger ou servir dans les écoles.
Quand un lobbyiste dit cela, il peut souvent appuyer ses arguments avec une généreuse contribution à la caisse électorale du représentant du Congrès qui dira comme lui. Ou à celle d’un éventuel adversaire, si on a le malheur de lui tenir tête.
Évidemment, l’affaire de la pizza n’est qu’un petit exemple d’un processus législatif brisé et qui conduit aux pires aberrations. Ce n’est rien en comparaison à l’échec du « super comité », qui a échoué dans sa mission de trouver pour 1500 milliards de compressions budgétaires au cours des cinq prochaines années. Mais c’est le genre d’exemple dont le public se souvient.
C’est aussi ce qui fait que la popularité du Congrès comme institution est maintenant sous les 10 %. Il y a maintenant plus d’Américains qui croient qu’Elvis est vivant que de citoyens qui croient que leurs législateurs font du bon travail.
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