Un aperçu de ce qui resterais sur la Terre, si toute vie disparaissait et que des extraterrestres découvraient notre planète. En archéologue venue de l’espace, ils pourront trouver notre histoire, nos animaux, nos livres, et encore bien des choses
Nuage
Que restera-t-il sur la Terre quand il n’y aura plus rien?
Photo: getty; istock
Stylist et Matthieu Rostac et Hugo Lindenberg et Raphaëlle Elkrief
Mesdames et Messieurs les extraterrestres, on a dû partir rapidos… mais on vous a laissé deux, trois trucs.
Dites, les extraterrestres, vous arrivez quand? Parce que nous, on vous attend. Il ne se passe plus une année sans que nous découvrions de nouvelles planètes habitables, mais pourtant, c’est silence radio. Et ce n’est pas faute d’écouter. Depuis cinquante ans, le programme américain Seti (Search for Extra-Terrestrial Intelligence) tente de détecter des signaux venus de l’espace et l’été dernier, le milliardaire russe Yuri Milner a remis cent millions de dollars dans le projet. Un demi-siècle d’attente, un délai qui n’a rien d’étonnant pour Bill Nye, célèbre journaliste scientifique américain, qui rappelle que cinquante ans d’écoute, à l’échelle de l’univers, c’est vraiment peanuts.
Nous, on est prêts à attendre. Mais un truc nous angoisse: si à force, vous, petits camarades de l’espace, arriviez trop tard? La race humaine rayée de la surface de la planète, emportée par une épidémie de Zika mutant, désintégrée par un feu d’artifice nucléaire, écrasée par un astéroïde, calcinée par le réchauffement climatique… Faune, flore, Zaz, plus rien. Et franchement, même si on n’est plus là pour vous accueillir, ce serait tellement dommage que vous n’ayez aucune idée de la richesse de nos régions qui ont du talent. Sauf qu’en cherchant bien parmi les ruines des maisons Bouygues et les vieux débris calcinés d’iPhone 6, vous pourriez bien trouver de quoi comprendre notre civilisation grâce à ce que nous vous avons laissé bien à l’abri dans les bunkers, les abris anti-atomique et sous terre. En voici neuf exemples.
1.Un vidéoclub
Dans un campus près de Culpeper en Virginie, ce gigantesque bunker a servi à entreposer, de 1969 à 1988, assez de billets de banque pour relancer l’économie américaine en cas d’attaque nucléaire. Depuis 2007, il abrite le National audio-visual conservation center: une collection de 6,3 millions d’archives audiovisuelles américaines (films, jeux vidéo, musique…) dont 190.000 films en pellicule nitrate hyper-inflammables sous haute protection. Une collection restaurée en permanence et qui ne cesse de s’étoffer sous la houlette de la bibliothèque du Congrès américain qui archive de manière compulsive le patrimoine culturel du pays.
«Nous voulons être capables de tout préserver, déclarait l’an dernier à CB News Mike Mashon, le directeur du département vidéo. Nous pensons que c’est aux générations futures de décider ce qui est important et ce qui ne l’est pas.»
C’est dommage, parce qu’on a déjà des idées.
2.Un marché bio
Perdu au milieu du cercle arctique, l’archipel norvégien du Svalbard accueille le Svalbard Global Seed Vault, bunker destiné à abriter les graines de toutes les cultures vivrières de la planète, creusé dans le flanc d’une montagne de grès à douze mètres de profondeur. Capable de stocker 4,5 millions d’échantillons végétaux de 500 graines chacun pour plusieurs centaines d’années, le bâtiment en héberge déjà 800.000. Ce qui ne l’empêche pas de vivre d’ores et déjà sur ses réserves, une grande partie des stocks de blés ayant été donnée à la Syrie dont la guerre a mis à mal les ressources.
3.Des zoos congelés
Depuis que vous avez binge-watché les Jurassic Park, vous êtes convaincu que l’on pourra revoir, un jour, un mammouth sur Terre? C’est probable, grâce à cette arche de Noé en pipettes que constitue le réseau Frozen Ark. Lancé, il y a une dizaine d’années par un couple de scientifiques, le projet est aujourd’hui hébergé par l’université de Nottingham, en partenariat avec le Zoological Society ainsi que le Natural History Museum londonien.
Le but est de collecter des cellules d’espèces animales (surtout celles en danger) pour repeupler la faune en cas de catastrophe ou d’extinction d’une espèce. Vingt-deux zoos et centres de recherche participent au projet et ont déjà recueilli 48.000 échantillons appartenant à 5.500 espèces.
4.Nos poubelles
Alors que personne ne sait quoi faire de ses déchets nucléaires, la Finlande a décidé de les mettre à l’abri. Le pays a lancé le chantier Onkalo (cavité en finlandais), à 500 m sous l’île d’Olkiluoto, au sud-ouest du pays. L’idée: enfouir des millions de tonnes de déchets radioactifs sous une grosse couche de granit, dans une cachette autonome et stable. En 2120, quand tout aura été déposé, les installations en surface seront détruites et les tunnels rebouchés pour toujours. On espère. Comme les déchets restent radioactifs cent mille ans, les Finlandais réfléchissent à un moyen de prévenir les générations futures de l’interdiction formelle d’ouvrir la cachette, afin d’éviter un Tchernobyl puissance mille. Puisque leur laisser un Post-it «j’ai oublié de sortir les poubelles» va être compliqué, ils réfléchissent à un message qui serait reçu 5/5. Parmi les idées: utiliser le tableau Le Cri de Munch.
5.Le programme de 4e
Si les extraterrestres débarquent sans avoir révisé leur BEPC, ils seront ravis de se procurer le 5D Quartz Coin. Une sorte de mini CD-rom indestructible, développé par l’université de Southampton en Angleterre. Pas plus gros qu’une pièce de 1 euro, ce disque de cristal est capable de stocker 360 téraoctets de données gravées en nanotechnologie. Pour le moment, l’équipe y a enregistré La Bible du roi Jacques, la Magna Carta, Opticksde Newton et la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Absolument increvable, le disque peut résister à des températures allant jusqu’à 1.000°C et tenir 13,8 milliards d’années à 190°C.
«Cette technologie peut préserver les dernières traces de notre civilisation. Tout ce que nous avons appris ne sera pas oublié», se félicite le professeur Peter Kazansky qui dirige le projet et prévoit d’encoder un maximum de données dans les années qui viennent et d’envoyer le tout sur Mars ou sur la Lune.
6.Une boîte à souvenirs
Pas impossible qu’en creusant un peu, les petits hommes verts tombent sur une time capsule, ces petites boîtes en fer dans lesquelles les humains aiment enterrer quelques souvenirs pour l’avenir. Il y en aurait 15.000 dans le monde selon la Time Capsule Society qui héberge la plus grande d’entre elles, sous l’université Oglethorpe d’Atlanta. Une pièce de 54 m3 avec une porte en acier inoxydable dans laquelle Thornwell Jacobs, président de l’université, a décidé d’entreposer des micro-films (La Bible, Le Coran, L’Enfer de Dante), des enregistrements de leaders politiques (Hitler, Staline, Roosevelt), mais aussi un grille-pain électrique, une Budweiser, des chants d’oiseaux. La pièce ne doit être ouverte qu’en 8113 et a été fermée en 1940. Tant pis pour les singles de Kendji Girac à léguer à la postérité.
7.Un dico multilingue
Comment apprendre la langue d’une civilisation disparue? Les Égyptiens nous ont légué la pierre de Rosette, bien utile à Champollion pour déchiffrer les hiéroglyphes. Conscients que 50 à 90% des langues disparaîtront au XXIe siècle, des linguistes de la Long Now Foundation ont créé le Rosetta Project, des documents recensant la grammaire de plus de 1500 langues. Un gros Larousse de 15.000 feuilles disponible sur trois supports: un livre imprimé, des archives en ligne et un disque en nickel inaltérable, à lire au microscope, sur lequel 3000 pages d’informations ont été gravées au laser. Un exemplaire est sur la sonde Rosetta qui explore la comète Tchouri.
8.Quelques astronautes
Perchée à 400 km en orbite au-dessus de la Terre, la station spatiale internationale devrait résister sans encombre à la fin du monde. Épargnant les six astronautes qui y résident. Mais pour combien de temps?
«Tout dépend de la date du dernier ravitaillement», prévient Olivier Lascar, rédacteur en chef du pôle digital de Sciences et Avenir.
Car même s’ils ont fait pousser une salade pour la première fois l’année dernière, les occupants n’ont pas encore les moyens de faire germer des patates, façon Seul sur Mars, dans les 400 m3habitables de la station. Mais de toute manière, la station finirait par sombrer dans l’atmosphère:
«L’ISS perd de l’altitude en permanence, ce qui oblige des vaisseaux venus de la Terre à effectuer régulièrement une correction orbitale pour la redresser», explique Olivier Lascar.
9.Internet
Pensé par l’armée américaine pour résister à un bombardement nucléaire, internet est particulièrement coriace.
«Pour qu’il disparaisse, il faudrait que tous les points d’architecture du réseau soient détruits, explique Xavier de La Porte, rédacteur en chef de Rue89. Or, le propre d’internet c’est que tout est éparpillé.»
À commencer par les serveurs, dont certains sont stockés dans de véritables bunkers, comme au Greenbrier Hotel en Virginie occidentale. Un abri secret construit en pleine guerre froide pour accueillir les membres du congrès en cas d’attaque nucléaire, puis reconverti en datacenter pour les entreprises (à chaque époque ses priorités). Enfin, les serveurs racines, immenses annuaires du Web qui convertissent les noms de sites en adresse IP, sont dispersés dans cinquante-trois pays sur cent trente lieux tenus secret. S’ils sont un peu geek, les extraterrestres trouveront donc facilement un peu de wifi.
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