Qui est Jack l’Éventreur? 4 suspects, mais aucun n’a jamais été accusé formellement. Depuis des lustres, des gens font leurs propres théories sur le présumé meurtrier, alors que d’autres détruisent leurs théories et en bout de ligne … on ne sait toujours pas qui était Jack l’Éventreur
Nuage
Jack l’Eventreur traqué par l’ADN

Jack l’éventreur. Affiche réalisée par Robert S Baker et Monty Berman en 1959. © RONALDGRANT/MARY EVANS/SIPA
Par Hervé Ratel
Un nouveau livre-enquête affirme avoir identifié le célèbre tueur en série londonien grâce à des analyses ADN. Fin du mystère ou énième rebondissement dans cette affaire criminelle hors normes ?
En ce petit matin blême du 30 septembre 1888, la mort vient d’endeuiller par deux les ruelles malfamées du quartier de Whitechapel à Londres. Dérangé lors d’un premier meurtre perpétré contre Elizabeth Stride, le tueur a récidivé quelques dizaines de minutes plus tard dans un mouvement de frustration d’une violence inouïe. Cette quatrième victime sera l’avant-dernière imputée au tueur en série qui sévit depuis plusieurs mois et que la presse et Scotland Yard ont déjà surnommé « Jack l’Éventreur ». Près de la dépouille de la prostituée Catherine Eddowes, atrocement mutilée, un châle finement ouvragé.
A la recherche de l’ADN mitochondrial
Et si l’identité du tueur se cachait au sein de cette pièce à conviction jusqu’à présent ignorée par tous les criminologues et enquêteurs qui se sont penchés sur cette retentissante affaire ? S’il suffisait de fouiller au cœur des fibres pour y lire les derniers instants de sa propriétaire et y débusquer des indices, comme son sang ou, plus encore, des résidus du sperme de son bourreau, et donc son ADN ? C’est la conviction de Russel Edwards dans un ouvrage intitulé Naming Jack the Ripper (non traduit) paru il y a quelques mois. Cet antiquaire britannique assure être parvenu à mettre un nom sur le tueur de Whitechapel. Il a en effet acquis à une vente aux enchères le fameux châle. Puis il s’est adjoint, pour l’expertise, les services d’un généticien de l’université de Liverpool John-Moores, Jari Louhelainen. Au fil d’une enquête au long cours, les deux hommes assurent être parvenus à isoler et à caractériser l’ADN mitochondrial (ADNmt, voir encadré ci-dessous) contenu dans les cellules collectées sur le vêtement.
Verdict : l’assassin serait Aaron Kosminski, un barbier d’origine juive polonaise qui figurait déjà dans la liste des suspects établie par Scotland Yard.

© Infographie par Betty Laffon, Sciences et Avenir
Ce n’est pas la première fois que la génétique est convoquée au parloir de cette affaire criminelle. En 2002, l’auteure américaine de romans policiers Patricia Cornwell avait déboursé plusieurs millions de dollars pour mettre la main sur des lettres attribuées à Jack l’Eventreur et sur des écrits rédigés par celui que la romancière soupçonnait d’être le coupable, Walter Sickert (voir galerie de suspects ci-dessous). Elle fit ensuite mener à grands frais des tests pour analyser les traces d’ADN retrouvées sur ces documents… sans que les maigres résultats obtenus convainquent quiconque.
Principale critique : rien n’indique que les lettres signées Jack l’Eventreur aient bien été écrites par le tueur.

© Infographie : Betty Laffon – Photos : Getty Images, AFP
L’ADN mitochondrial, à manier avec précaution
Etablir un lien entre l’ADNmt de ces courriers et celui retrouvé dans la correspondance de Sickert ne désigne donc pas formellement le peintre comme l’assassin. Surtout, si l’ADNmt, transmis quasi uniquement par la mère se révèle très utile pour remonter une lignée maternelle, il est à manier avec des pincettes en criminologie. Il n’est en effet pas exclusif à une personne, mais partagé par un ensemble de personnes (« halogroupe ») contrairement à l’ADN présent dans le noyau des cellules. Son seul intérêt dans la recherche criminalistique est qu’il est présent en plusieurs centaines d’exemplaires dans chaque cellules et que les chances d’en retrouver en bon état sur un matériel biologique ancien sont plus élevées que pour l’ADN nucléaire, plus fragile.
Russel Edwards s’est quant à lui concentré sur la recherche de l’ADNmt de Catherine Eddowes pour confirmer l’authenticité du châle. Il assure ainsi dans son livre – avare en détails scientifiques – que les analyses ont permis d’établir une correspondance avec une descendante de la victime, Karen Miller. Bingo ! La correspondance entre les deux fragments d’ADN se base sur une mutation rare dans la population générale, la 314.1C.
« Elle n’est présente que chez un individu sur 290 000« , assure Russel Edwards.
Dès lors, si le châle a bien appartenu à la victime de Jack, la trace de sperme pourrait tout à fait être celle du tueur… Et les fins limiers d’affirmer ainsi avoir formellement identifié Aaron Kosminski, après comparaison de son ADNmt avec celui de l’un de ses descendants.
« Faux !« , assène sans détour Nina Marchi, doctorante en génétique des populations au musée de l’Homme à Paris.
La démonstration ne tient pas car elle est tout simplement basée… sur une erreur de nomenclature (lire encadré dans plus haut).
« Si la séquence 314.1C est si peu fréquente, c’est… qu’elle n’existe pas ! C’est la mutation 315.1C qu’il aurait fallu chercher ; qui, elle, est commune à plus de 98 % de la population et donc non discriminante ! »
Si l’on ne peut pas prouver que le châle appartient bien à Catherine Eddowes, tout s’écroule ! Car, le sperme pourrait être celui de n’importe qui du même halogroupe, ce qui fait beaucoup de monde… Comment un généticien comme Jari Louhelainen a-t-il pu commettre une telle bévue ? Sans doute parce qu’il en va de la génétique comme de tous les domaines spécialisés : on peut être expert de la génétique du cancer – ce qui est le cas du chercheur – sans être au fait des subtilités de la génétique des populations. Surtout avec un matériel de base aussi revêche.
L’origine du châle est sujette à caution
« Beaucoup de gens ne veulent pas travailler sur de l’ADNmt car ils trouvent ça trop compliqué ! », avoue MArie-Gaëlle Le Pajolec, directrice générale de l’Igna (Institut génétique Nantes Atlantique). « Je ne crois pas non plus à cette théorie, confirme Sophie Herfort qui a elle-même publié un livre sur cette affaire (voir la galerie des suspects plus haut).D’autant qu’elle s’appuie sur un élément matériel, le fameux châle, dont l’origine est sujette à caution. »
Débusquée par le site Casebook.org, qui rassemble des passionnés de l’affaire, cette erreur entache toute l’enquête… Les auteurs assurent qu’ils répondront à la polémique dans une deuxième édition de leur livre à paraître avant la fin de l’année.
« Nous avons d’autres marqueurs que le 314/315 pour appuyer la théorie de Russel, nous promet Jari Louhelainen. Parce que notre livre était destiné au grand public, notre éditeur a malheureusement dû faire un choix. Et patientez également jusqu’à début 2016 avec la publication de notre travail dans une revue de criminologieForensic Science International. »
En attendant, Jack court toujours.
http://www.sciencesetavenir.fr/