Sur une base dite »volontaire » d’accepter la stérilisation de la femme surtout dans les quartiers pauvre alors que la réalité, ils incitent voir forcer ces femmes à se faire stériliser sans savoir que cette méthode est définitive et surtout que les risques d’opérations à la chaîne est épouvantable. Pourquoi pas les hommes ? Et puis pourquoi pas les autres méthodes reconnues tout en sortant ces femmes de l’ignorance ?
Nuage
La stérilisation des femmes, une contraception « made in India »

Au Rajasthan, un tiers des candidates à la stérilisation ignorent que l’opération est irréversible. © Celestino Arce / NurPhoto
CORRESPONDANTE À NEW DELHI, VANESSA DOUGNAC
L’Inde continue d’encourager la stérilisation. Avec son lot de drames et des femmes qui ne savent pas toujours que l’opération est irréversible.
Dépassant aujourd’hui 1,25 milliard d’habitants, l’Inde deviendra le pays le plus peuplé au monde vers 2028. Entre 2001 et 2011, la population indienne a augmenté de 17,6 %. Pour contrôler la natalité, les autorités continuent à encourager une méthode efficace : la stérilisation. Peu pratiquées, les vasectomies pour les hommes se heurtent aux mentalités patriarcales. Mais 65 % des femmes, moins enclines à protester, ont recours à la stérilisation pour contrôler leur fécondité. En 2013-2014, le gouvernement a facilité 4 millions de procédures. L’intervention consiste en une ligature des trompes utérines par laparoscopie. En théorie, les femmes sont libres de leur choix et la procédure est sans risque. Dans la réalité, les faits dressent un sombre tableau.
De récentes tragédies ont remis en lumière une dérive : la mise en danger de la santé des villageoises pauvres.
Pas plus tard que la semaine dernière, un docteur a stérilisé 27 femmes en 60 minutes à Chandauli, dans l’Uttar Pradesh. Du travail à la chaîne, expéditif et bâclé.
Le 8 novembre, 13 villageoises sont mortes dans un camp de stérilisation dans le Chhattisgarh, opérées par un même chirurgien, R. K. Gupta. L’affaire a suscité un tollé.
Les conditions sanitaires ont été mises en cause ainsi que les médicaments prescrits.
« Ces femmes sont traitées comme du bétail, dénonce l’avocat Colin Gonsalves, directeur de l’ONG Human Rights Law Network. En phase postopératoire, elles sont parfois laissées à même le sol, dans le sang et la saleté. »
En 2012, cette ONG avait déjà lancé une alerte sur le cas de 53 femmes stérilisées dans une école du Bihar, sans électricité ni eau, et à l’aide de lampes torches.
« La stérilisation doit être volontaire et réalisée dans la dignité », rappelle Colin Gonsalves.
Volontaire ? C’est là toute l’ambiguïté des politiques de régulation des naissances. Car la stérilisation est imposée à des villageoises illettrées. Au Rajasthan, un tiers des candidates ignorent que l’opération est irréversible.
Attitude « anti-pauvres »
Tout a commencé en 1951, lors d’un recensement qui comptabilisait 356 millions d’âmes.
« Comment l’Inde pourra-t-elle nourrir tous ces gens ? » s’est demandé le démographe R. A. Gopalaswami en calculant l’accroissement de la population.
Sa solution :
« Stériliser les personnes ayant trois enfants ou plus. »
L’année suivante, l’Inde lançait le premier planning familial avec des quotas à respecter. Mais le traumatisme a été atteint quand Sanjay Gandhi, fils de la Premier ministre Indira Gandhi, a supervisé les camps de stérilisation en masse. En 1976-1977, les policiers sont allés jusqu’à encercler des villages pour conduire de force les hommes sur les camps d’opération, conduisant à un total de 8,3 millions de stérilisations en deux ans.
Face aux protestations, les autorités se sont ensuite efforcées de garantir l’aspect volontaire, refusant d’imiter la stratégie du voisin chinois pour limiter les naissances. Depuis 1996, les quotas sont remplacés par une « approche non ciblée » des autorités locales. Certes, le taux de natalité est passé en quelques décennies de 5,7 enfants par femme à 2,7. Mais persiste l’idée que la croissance démographique, forte dans les campagnes, est responsable des « retards » économiques du pays. Les autorités ont rédigé, dès les années 90, des programmes contraceptifs porteurs d’une attitude « anti-pauvres » poussant à stériliser les villageois.
Selon le Dr Das du Center for Health and Social Justice (CHSJ), « tout le débat sur la démographie est basé sur cette perception ».
Rien d’étonnant, du coup, à ce que les records de stérilisations touchent les aborigènes. Dans ces couches où le taux de mortalité infantile est important, la stérilisation peut être lourde de conséquences pour les familles.
L’approche actuelle, formulée en 2012, interdit la course aux chiffres et s’engage à proposer des moyens contraceptifs variés.
« Les gens sont libres de faire ce qu’ils souhaitent », affirme S. K. Sikdar, à la tête de ce programme.
L’approche officielle est sensible, balisée par des règles strictes. Mais les abus persistent.
Quand le docteur Gupta, impliqué dans l’affaire des décès du Chhattisgarh, est interrogé par une chaîne télévisée, il répond :
« Ce n’est pas ma faute, le gouvernement m’a mis sous pression pour atteindre des objectifs. »
Machines à laver et DVD donnés en cadeaux
« Et les auxiliaires de santé sont poussés à recruter des candidates à la stérilisation », explique Colin Gonsalves.
Une enquête de l’ONG Human Rights Watch (HRW) révèle que la tentation est grande pour ces 830 000 agents locaux de convaincre les femmes en leur livrant des renseignements incomplets.
D’après Aruna Kashyap, chercheuse à HRW, « ceux qui échouent à atteindre les objectifs fixés risquent de perdre leur travail ».
L’avocate Leena Uppal, du CHSJ, a ainsi alerté sur le fait que la stérilisation chez des femmes en couches donnant naissance à un deuxième fils est imposée. Ces femmes ont un potentiel réceptif, car elles ont déjà accompli leur « devoir », dans une société qui privilégie les garçons. Leena Uppal dénonce la duplicité du gouvernement qui projette l’image d’une action centrée sur le choix :
« La vérité est que dans le nord rural de l’Inde les services de santé continuent à ne fournir qu’une forme de contraception : la stérilisation. »
Les mesures incitatives incluent des rétributions de 10 à 20 euros par candidate. En 2011, le Madhya Pradesh a offert des machines à laver et des lecteurs DVD. Il y a aussi des mesures « punitives », les parents de plus de deux enfants se voyant interdire l’accès à des subventions sociales.
« Mais la norme de deux enfants par famille est illégale », souligne Colin Gonsalves.
Pour les spécialistes, le taux élevé de natalité ne sera pas combattu en misant sur les stérilisations. Il faudrait privilégier la lutte contre la mortalité infantile et contre les mentalités qui poussent à la sélection prénatale ou aux mariages d’adolescents. C’est aussi le système de la santé qui est à réinventer, et le Premier ministre Narendra Modi a promis de s’y atteler. L’enjeu est de bâtir une société où la sécurité d’une famille ne passerait plus par le nombre d’enfants, mais par un système de retraite et des services publics fiables.
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