Personnellement, je n’aurais jamais songé à dégriffer un chat, car les griffes est un moyen défense sans compter qu’ils peuvent s’agripper et éviter bien des chutes
Nuage
Campagne contre le dégriffage des chats
Selon le spécialiste du comportement félin Daniel Filion, un chat qui perd l’un de ses moyens de défense, soit ses griffes, risque de mordre davantage.
SHUTTERSTOCK, FOREWER
ÉLISABETH FLEURY
Le Soleil
(Québec) Des vétérinaires et des spécialistes du comportement félin du Québec prévoient lancer ce printemps une vaste campagne de sensibilisation contre le dégriffage des chats.
C’est ce qu’a annoncé au Soleil cette semaine le spécialiste du comportement félin Daniel Filion.
«On veut mettre l’accent sur les alternatives au dégriffage, que les gens comprennent que le dégriffage n’est pas recommandé et que c’est une pratique parfaitement inutile», a indiqué le blogueur et chroniqueur télé à l’émission Animo de Radio-Canada.
Depuis quelques années au Québec, des groupes de défense des animaux, des vétérinaires et des spécialistes du comportement félin se prononcent contre le dégriffage des chats, arguant que cette pratique n’est rien de moins qu’une amputation de la troisième phalange de chaque doigt du chat et qu’elle peut entraîner de la douleur de même que des changements dans le comportement de l’animal, qui pourrait notamment se mettre à faire ses besoins en dehors de la litière.
Selon M. Filion, l’onyxectomie (ou dégriffage) est interdite dans près de 40 pays dans le monde, alors qu’ici, elle est à peu près banalisée, les gens s’imaginant qu’elle est sans grandes conséquences.
«Bien qu’il n’existe aucune étude démontrant que les chats dégriffés utilisent davantage la morsure comme moyen de défense, la très grande majorité des spécialistes en comportement s’entendent pour dire qu’un amimal qui perd l’un de ses moyens de défense habituels va inévitablement avoir recours à ceux qui lui restent en cas de besoin», dit M. Filion.
C’est ce que croit aussi la vétérinaire montréalaise Odette Girard, dont la clinique a été la première à cesser de pratiquer l’onyxectomie il y a 11 ans.
«Quand un chat utilise ses griffes, c’est parce qu’il est ennuyé. Et s’il n’a pas la possibilité de s’en servir, il va davantage utiliser son langage corporel pour qu’on lui fiche la paix, comme feuler et montrer ses dents», explique la propriétaire de la Clinique vétérinaire de la Promenade.
Douleur
Quant à la douleur qui pourrait être ressentie pendant et après la chirurgie, Mme Girard et M. Filion restent prudents.
«On n’est pas dans la tête des chats, c’est donc difficile à établir. Mais on sait que les bons vétérinaires font ce qu’il faut pour éviter le plus possible la douleur chirurgicale et post-chirurgicale», dit Mme Girard, selon qui une douleur fantôme due à l’amputation pourrait aussi se déclarer.
«La douleur pourrait-elle se manifester plus tard sous forme de douleur articulaire ou arthritique? Le chat pourrait-il éventuellement souffrir de contractions du tendon? Ce sont des questions qu’on se pose, mais il n’y a pas eu d’études de faites là-dessus, donc, encore là, c’est difficile de s’avancer.»
Quoi qu’il en soit, M. Filion et Mme Girard veulent faire comprendre aux propriétaires de chats qu’il n’est ni souhaitable ni utile de faire dégriffer leur animal.
«C’est sûr qu’on aimerait ça que la pratique soit interdite, comme ça l’est ailleurs. Mais avant d’en arriver là, il y a un travail d’éducation et de sensibilisation à faire», dit Daniel Filion.
Il ne s’agit pas de diaboliser les propriétaires de chats qui veulent recourir à l’onyxectomie, mais de leur expliquer, par exemple, que le risque qu’un enfant soit blessé sérieusement par une griffade de chat est minime.
«Ce qu’il faut d’abord et avant tout, c’est apprendre à décoder le langage des chats», croit le spécialiste.
D’autres options
Quant aux chats qui font leurs griffes sur les beaux divans en cuir, M. Filion croit à la bonne vieille méthode des griffoires, «qui sont très efficaces s’ils sont bien faits et qu’ils sont installés aux bons endroits». Devant le coin du divan, par exemple.
Sinon, les Soft Paws (couvre-griffes) constituent une alternative au dégriffage fortement recommandée par les vétérinaires. Il s’agit de petits capuchons en plastique qui s’installent sur les griffes et qui permettent aux propriétaires d’apprendre à leur jeune chat à ne pas faire leurs griffes n’importe où dans la maison.
«On va finir par délaisser cette pratique»
L’Ordre des médecins vétérinaires du Québec (OMVQ) n’a pas de position officielle sur l’onyxectomie comme elle en a une sur la caudectomie (écourtage ou ablation de la queue) ou l’essorillement (coupage des oreilles). Du moins pas encore.
«C’est un sujet qui demeure très controversé, tant au sein de la population que chez les vétérinaires. Mais on est conscients que le dégriffage fait partie des débats qu’on doit avoir sur le bien-être animal», dit le président de l’OMVQ, le Dr Joël Bergeron, précisant que «l’Ordre ne recommande pas l’onyxectomie, mais il ne la bannit pas non plus». «On dit à nos membres de sensibiliser leurs clients et de leur proposer des alternatives.»
L’Ordre songe d’ailleurs à se doter d’un programme de sensibilisation sur le dégriffage destiné à ses membres, mentionne le Dr Bergeron.
Si l’onyxectomie est toujours largement pratiquée par les vétérinaires, c’est qu’elle est bien ancrée dans les moeurs, explique le président de l’OMVQ.
«Les gens y tiennent parce qu’ils voient le dégriffage comme une solution facile. Ce n’est pas tout le monde qui a la patience et la persévérance de travailler sur les comportements de leur chat», dit le Dr Bergeron.
Tant qu’il y a une demande
Or tant qu’il y aura une demande pour l’onyxectomie, il y aura des vétérinaires pour la pratiquer.
«Ils le font pour toutes sortes de raisons, mais leur plus grande préoccupation, c’est qu’ils ne veulent pas que les chats se retrouvent dans un refuge ou qu’ils soient euthanasiés. D’où l’importance de travailler sur la sensibilisation des propriétaires de chats et de leur proposer des alternatives», estime le président de l’OMVQ.
En 2010, l’Ordre s’est prononcé contre la caudectomie et l’essorillement pratiqués à des fins esthétiques ou pour des pratiques d’élevage.
«Il y a une vingtaine d’années, il était commun de rencontrer des chiens boxer qui avaient subi ces chirurgies. De la sensibilisation a été faite et, aujourd’hui, les mentalités ont changé», note le Dr Bergeron, selon qui «il devrait se produire la même chose avec l’onyxectomie».
«Mon impression, c’est qu’on va finir par délaisser cette pratique», conclut-il.
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