Pourquoi une aversion a certains aliments alors que d’autres en raffolent ? Plusieurs pistes sont mises en avant, telle que génétique, l’éducation, les mauvaises expériences, ou encore liée à notre identité, mais les goûts peuvent aussi se développer
Nuage
Pourquoi est-ce qu’on adore certains goûts et qu’on en déteste d’autres?

Des huîtres à Andernos-les-Bains, en décembre 2012. REUTERS/Régis Duvignau
Rachel Pomerance Berl
Nous ne sommes pas égaux devant les aliments.
Si un de vos repas comprend des huîtres, il y a de fortes chances pour que cela provoque une réaction (et l’on ne parle pas de l’intoxication possible). Pour certains, le mollusque est l’essence-même des repas de fêtes. D’autres n’arrivent pas à dépasser le côté visqueux ou à admettre que cela soit même de la nourriture.
Des goûts et des couleurs on ne discute pas, comme on dit.
Quoique?
Récemment dans un café, j’ai remarqué que le serveur proposait des cornichons avec chaque commande de sandwich. Et à chaque fois, le client s’enthousiasmait «Oui, s’il vous plaît!» Après plusieurs échanges de la sorte, j’ai fait remarquer que tout le monde avait l’air de vraiment vouloir les cornichons.
«Ah non, m’a contredit le serveur. Soit ils en veulent vraiment, soit ils n’en veulent vraiment pas.»
Ce n’est bien sûr pas le cas de tous les aliments ni de tout le monde. Mais qu’est-ce qui fait que ces aliments en particulier –les choux de Bruxelles et autres olives noires– semblent déclencher à la fois un tel engouement et un tel dégoût?
Aimez-vous la coriandre?
J’ai posé la question à Paul Rozin, professeur de psychologie à l’Université de Pennsylvanie et expert en aversions alimentaires, qui a dit qu’il ne connaissait l’existence d’aucune donnée quant à la raison pour laquelle certains aliments provoquaient des réactions extrêmes.
Ma question ayant éveillé sa curiosité, il a réexaminé une partie de sa recherche portant sur les préférences alimentaires parmi la population d’étudiants de l’Université de Pennsylvanie, de leurs parents et de leurs grands-parents. Les résultats, qu’il prévoit de publier, ont montré que certains aliments étaient en effet polarisés au sein de certaines générations. Les haricots de Lima, le foie de poulet et le bifteck, par exemple, ont provoqué de fortes réactions dans les deux sens chez les parents comme chez les grand-parents. Les trois groupes étaient aussi «bimodaux», comme il dit, sur les olives noires. Les grands-parents étaient passionnément pour ou contre la sauce piquante.
Au-delà de la recherche de Rozin, un aliment en particulier, de façon peut-être unique, a le don d’échauffer les esprits: la coriandre. Des études ont mis en lumière l’existence possible d’une base génétique au fait que certaines personnes lui trouvent un goût de savon alors que d’autres trouvent ça fabuleux. Néanmoins la recherche suggère qu’il est possible pour les détracteurs de la coriandre d’apprendre à l’apprécier.
Parmi les aliments qui nous affectent le plus, beaucoup ont des qualités extrêmes ou inhabituelles.
Habitude quand tu nous tiens…
La couleur sanguinolente des betteraves ou la sensation collante de l’okra peuvent provoquer des réactions extrêmes, dit l’expert en comportements alimentaires Brian Wansink, qui dirige le Food and Brand Lab de l’Université de Cornell. Le caractère étrange d’un aliment stigmatise celui-ci et justifie qu’on l’évite, explique-t-il. De plus, nous avons tendance à être des néophobes alimentaires.
«Nous faisons naturellement un peu moins confiance aux nouveaux aliments, dit Wansink. Si nous mangions tout ce que nous voyons, nous serions morts.»
Néanmoins l’exposition répétée neutralise la nouveauté, donnant à l’exotisme un aspect sûr, familier et même digne de fringales –ce qu’on nomme le «goût acquis».
«Aucun Américain n’aime le kimchi la première fois qu’il en mange», dit Wansink, qui s’est converti au kimchi. Toutefois, l’exposition ne garantit pas l’adoption. La femme de Wansink, qui est taïwanaise, et leurs filles aiment les œufs de cent ans, qui sont populaires en Chine. Lui continue de trouver que les œufs de cent ans sont «vraiment, vraiment dégoûtants».
Le fait que les aliments rassurants d’une culture soient ceux qui provoquent la méfiance dans une autre illustre l’influence de l’exposition.
«La majeure partie de ce qui guide notre comportement vis-à-vis de la nourriture est notre expérience passée», dit Linda Bartoshuk, chercheuse à l’Université de Floride spécialisée dans le goût.
«C’est quelque chose qu’on apprend.»
Nous commençons tous avec une préférence pour les aliments sucrés et une aversion pour ceux qui sont amers, dit-elle. Mais le conditionnement prend le dessus avant même la naissance –la recherche montre que les préférences alimentaires peuvent passer de la mère à l’enfant en fonction de ce que celle-ci mange durant sa grossesse.
Le laboratoire de Bartoshuk a découvert que certaines personnes ressentaient le goût de façon plus intense que d’autres –en partie parce qu’elles possèdent plus de papilles gustatives que d’autres. Si ceux qu’on nomme les super-goûteurs, qui représentent environ 15% des Américains, trouvent insupportables les aliments gras, épicés ou amers, ils peuvent aussi éprouver plus de plaisir que d’autres à travers la nourriture. Mais même là, Bartoshuk met l’accent sur le fait que de telles sensations ne prédisent pas si la personne va aimer ou détester un aliment spécifique. Que l’on soit un super-goûteur ou pas, notre expérience influence nos goûts.
L’odorat joue également un rôle critique dans notre expérience gustative. Et là encore, c’est subjectif. Tout le monde n’est pas en mesure de détecter certaines mauvaises odeurs spécifiques, et vous pouvez vous en estimer heureux.
Nos madeleines
L’odeur du putois, par exemple, n’est pas universellement dérangeante, dit Bartoshuk. Ajoutez à cela l’expérience et vous comprendrez pourquoi le fromage qui pue peut rappeler à une personne un voyage romantique à Paris et évoquer des odeurs corporelles à une autre. En tout cas, les aversions alimentaires surviennent souvent à la suite de mauvaises expériences, comme vous le dira quiconque a vécu une soirée mouvementée à base de tequila.
L’idée que certains aliments puissent faire remonter des souvenirs profonds est connu sous le nom de madeleine de Proust, du nom du phénomène que décrit l’auteur au moment où il est transporté par le goût d’une madeleine. Le film Ratatouille en saisit un exemple plus récent quand une bouchée du plat de légumes français transporte Anton Ego, impitoyable critique culinaire, dans la cuisine baignée de soleil de son enfance à la campagne, à dévorer les émotions à chaque nouvelle cuillerée.
Des associations aussi puissantes expliquent pourquoi certains aliments peuvent être remplis de sens et liés à l’identité.
Dans certains cas, ils deviennent «des symboles d’appartenance ethnique», dit Daniel Kelly, philosophe à l’université de Purdue et auteur de Yuck! The Nature and Moral Significance of Disgust.
Un exemple d’aliment qui constitue un test décisif d’appartenance: la vegemite, la pâte alimentaire australienne couleur goudron qui résiste à une description et, pour beaucoup, à une consommation faciles.
«Aimer la vegemite fait partie de la condition d’Australien, mais le reste du monde la déteste», dit Daniel Kelly.
Pour Daniel Kelly, le fait d’avoir grandi dans le Midwest rural s’est accompagné du genre de sensibilités alimentaires qu’on annonce fièrement.
«Nous ne mangeons pas de nourriture thaï. Nous ne mangeons pas de poisson cru… Les Twinkies [génoises fourrées à la crème, NDT] frits, ça c’est tout nous.»
Buzzfeed a récemment réalisé une vidéo sur la nourriture juive, montrant des non-Juifs qui essaient des aliments aussi particuliers que le gefilte fish: à propos du magma de poisson blanc gélatineux en bocal, l’un des critiques a commenté que ça «a[vait] le même goût que l’odeur d’une épicerie». Une autre a constaté, une fois passée la réaction d’horreur initiale, que ça ne la dérangeait pas après tout.
Les fortes réactions à ce que nous mangeons révèlent sans doute quelque chose au sujet de la nourriture elle-même. Mais elles en disent bien plus sur la personne qui réagit.
Note de l’édition: la version originale de l’article faisait allusion à des plats traditionnellement servis pour Thanksgiving. Nous avons remplacé cette référence par les huîtres, aliment qui a tendance à partager les Français.
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