Quand on aime se faire mal


J’avoue ne pas comprendre ces gens qui optent pour les modifications corporelle. La scarification n’est pas sans risque, ces peaux qu’ils coupent, brûlent pour qu’elles laissent des cicatrices. Même si je suis contre de ce genre de mutilation, il faut choisir entre deux maux, je pense donc, qu’il est important de s’assurer que la personne est bien formée sinon, cela ne fait qu’augmenter les risques d’infections qui peuvent être graves
Nuage

 

Entrevue | Scarification

Quand on aime se faire mal

 

Pat Pierce et Adrian Fynch

Photo Martin Alarie, Le Journal de Montréal

La scarification, une forme extrême de modification du corps, gagne en popularité

À l’heure où les tatouages et les perçages sont presque devenus monnaie courante, les adeptes de la modifi­ca­tion corporelle se tournent maintenant vers la scarifi­ca­tion, dont le but est de laisser volontairement des cica­trices visibles sur la peau.

Pendant des heures, et malgré la douleur, ils se font délibérément brûler, couper, étirer et même peler la peau. Même si elle a souffert le martyre lors d’une première expérience, Adrian Fynch, 27 ans, coiffeuse et étudiante en sociologie de l’Université Concordia, se dit désormais une inconditionnelle de la scarification. Même si ce sera irréversible, elle souhaite maintenant se faire scarifier le visage.

Vous êtes tatouée, percée, même scarifiée. Pourquoi avoir décidé de recourir à ce moyen plutôt radical de modifier votre corps ?

Du plus loin que je me souvienne, les cicatrices m’ont toujours fascinée. Chaque marque sur la peau a sa petite histoire.

Enfant, je m’étais brûlé le doigt sur un poêle à bois. Je me souviens d’avoir beaucoup pleuré, mais j’étais fière de ma cicatrice parce qu’elle signifiait pour moi que j’avais réussi à passer à travers. Je fais le même parallèle avec la scarification. J’y ai recours par défi personnel. Elle fait mal, la guérison est plutôt longue, et j’ai envie de tester mes forces.

À 20 ans, vous avez vécu votre première expérience en vous faisant scarifier au bas du dos ?

C’est exact. Les cicatrices laissées par les coupures et les brûlures de la scarification sont très significatives à mes yeux. Elles représentent une vigne qui se déploie, ça évoque pour moi la force dans l’adversité.

Avez-vous beaucoup souffert lors de ces interventions ?

Celle dans le bas du dos m’a fait atrocement mal, surtout qu’il a fallu me brûler la peau pour arriver au résultat escompté. En tout et partout, ça a duré trois heures, et je dois le dire, je n’avais jamais autant souffert de ma vie. Une fois la scarification terminée, j’ai pris un taxi, et rendue chez moi, je me suis évanouie de fatigue tellement la douleur avait été difficile à supporter.

Il y a pourtant des gens qui trouvent l’expérience plutôt euphorisante ?

Certainement. Je n’ai pas du tout souffert pour celle sur le haut de ma cuisse.

J’aime souffrir quand le contexte s’y prête et que c’est volontaire. Je perçois la scarification comme un véritable rite de passage, une façon de prendre possession de son corps, et de se prouver qu’on existe. Il a aussi été prouvé qu’en présence de douleur, le corps sécrète des endorphines qui provoquent une sensation de bien-être, et de relaxation.

Vous n’êtes pas sans savoir que vos propos sont assez inusités ?

On a chacun nos intérêts et notre seuil de tolérance à la douleur. La scarification est pratiquée depuis le début de la civilisation, alors, pour moi, elle n’est pas si extrême que ça. Pour le reste, j’ai toujours été une personne timide. J’ai toujours eu peur de me blesser physiquement ou mentalement, mais avec la scarification, j’ai réalisé que la souffrance peut nous rendre encore plus forts. Elle permet aussi de constater que notre corps fonctionne très bien !

Les gens doivent penser que vous êtes une excentrique ?

Pour la majeure partie des gens, je le suis effectivement. Je l’avoue, je n’ai jamais été quelqu’un qui cadrait avec les autres. Je me suis toujours sentie à part des autres. Par contre, dans mon entourage, il y a des gens qui osent bien plus que moi.

Et qu’en pensent vos proches ?

Ils n’ont jamais été surpris par mes décisions. J’ai toujours été fascinée par les tatouages, le perçage. J’avais 4 ans lorsque j’ai vu des gens tatoués et percés dans la rue pour la première fois, et ça m’avait complètement séduite. Quant à mes parents, ils l’ont su après ma première scarification. Mon père est totalement en désaccord avec ma décision. Pour lui, c’est de l’automutilation. Ma mère est plus cool à ce sujet, mais elle n’apprécie pas la souffrance engendrée par cette procédure.

À quoi ressemble votre passé Adrian ?

Sans entrer dans les détails, je dirais que je n’ai pas eu une vie facile, mais je ne fais pas nécessairement de liens entre mon passé et mes choix personnels. Adolescente, je me suis automutilée en me coupant, mais ça n’est plus le cas maintenant. Les raisons qui me portaient à le faire n’ont aucun lien avec celles qui me poussent à recourir à la scarification aujourd’hui. Adolescente, je ne m’aimais pas, alors je me coupais, mais c’était en même temps une punition. Aujourd’hui, je vois plutôt la scarification comme une célébration.

Vous faites également des performances sur scène ?

En spectacle, je me suis déjà fait coudre les lèvres ensemble. Ça n’a pas laissé de cicatrices, car les points de suture ont été enlevés le jour même. On m’a déjà piqué le corps avec soixantaine d’aiguilles. Enfin, on m’a déjà fait, en direct sur scène, des scarifications sur le ventre et le haut de la cuisse.

Avez-vous l’intention de subir d’autres scarifications ?

J’aimerais plus de tatouages et de perçages. J’aimerais aussi me faire scarifier le visage, car j’ai toujours aimé les marques sur le visage, surtout chez les femmes. Évidemment, je préfère les cicatrices qui ont une signification, mais je n’ai quand même pas l’intention de me battre et de me faire blesser avec un couteau pour avoir une cicatrice…

Pat Pierce et Adrian Fynch

Photo Martin Alarie, Le Journal de Montréal

Il faut calculer 125 $ de l’heure pour recourir aux services de Pat Pierce.

« Le législateur doit s’en mêler » –Pat Pierce, perceur et scarificateur

Depuis 2006, en plus d’être perceur, Pat Pierce (Patrick Pacholik), propriétaire du Studio Mauve Body Art à Montréal, pratique également la scarification.

Même si ce procédé demeure encore exceptionnel, il gagne en popularité selon lui.

 

«Avec internet et les réseaux sociaux, la scarification pourrait faire boule de neige, comme ce fut le cas avec le tatouage et le piercing, qui ont littéralement explosé au cours des 10 dernières années», explique l’artiste.

Le problème est qu’au Québec, aucune législation n’encadre la pratique des salons de tatouages et de piercing en matière de sécurité et de propreté des instruments, ce qui inquiète l’homme de 41 ans.

«Contrairement à Toronto, aucun inspecteur à Montréal ne doit s’assurer que les studios de tatouages et de piercing respectent des normes d’hygiène précises. Pour le reste, n’importe qui peut s’improviser tatoueur, perceur ou scarificateur. C’est après avoir jeté un coup d’œil à des vidéos sur le web que certaines personnes s’improvisent scarificateurs. Elles n’ont reçu aucune formation, elles expérimentent sur les gens sans trop savoir ce qu’elles font», poursuit-il.

Pat Pierce ne mâche pas ses mots. À son avis, ces personnes sont dangereuses, elles font de la vraie mutilation et le législateur doit s’en mêler, car éventuellement, des accidents surviendront.

«Aux États-Unis, des personnes se sont même fait tatouer les globes oculaires. L’une d’entre elles a même perdu la vue à la suite du tatouage. Minimalement, l’hygiène des studios devrait être inspectée», affirme Pat Pierce, qui a appris son métier, entre autres, du légendaire Pierre Black, anciennement propriétaire du Studio Black Sun, rue St-Denis, à Montréal.

Quant à sa propre expérience de scarification, Pat Pierce avoue l’avoir trouvée horrible.

«Comme je voulais devenir scarificateur, je me devais de l’expérimenter. Ça a duré 40 minutes. La douleur était très intense, car on m’a coupé la peau juste en haut du sternum, un endroit très sensible. Même si j’ai trouvé l’expérience éprouvante, j’ai quand même l’intention de la revivre à nouveau. Une fois terminé, j’ai ressenti un sentiment de fierté et d’accomplissement comme rarement j’en avais vécu auparavant», a ajouté l’artiste des modifications corporelles.

Les risques de la scarification

Pour le Dr Daniel Barolet, dermatologue et professeur adjoint à l’Université McGill, les risques de la scarification sont nombreux. Une infection (bactérienne ou virale) peut se manifester puisqu’il y a une blessure générée intentionnellement. Ultimement, une infection non traitée convenablement peut avoir des conséquences majeures.

Cependant, le risque le plus fréquent est la mauvaise cicatrisation. Si le client ne guérit pas bien (selon sa génétique, l’endroit du corps à risque ou à la suite de soins inappropriés de la zone blessée), un phénomène de cicatrice hypertrophique (bombée) ou de chéloïde (cicatrice aberrante) peut survenir. Cela entraînera des douleurs et parfois une réduction de mobilité de la zone atteinte. Aussi, l’aspect cicatriciel de la peau deviendra inesthétique et parfois contraire à l’effet désiré.

Au Royaume-Uni, dans plusieurs États américains et au Manitoba, la scarification est interdite.

Photo Martin Alarie, Le Journal de Montréal

 

http://www.journaldequebec.com

 

2 réponses à “Quand on aime se faire mal

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