Les aliments multisensoriels: comme une drogue!

- Trois adultes canadiens sur 5 – et 1 enfant sur 4 – ont un surplus de poids ou souffrent d’obésité.
- Ceux qui entreprennent des régimes échouent à long terme.
- « C’est parce que nous n’avons pas compris pourquoi le fait de manger certains aliments nous pousse à en manger davantage », soutient le Dr David Kessler.
Voici comment, selon lui, l’industrie alimentaire nous amène à trop manger… et comment nous pouvons nous défendre.
David Kessler, qui est médecin, avocat et ancien commissaire à la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis, enseigne à l’École de médecine de l’Université de Californie à San Francisco. Dans son dernier livre, The End of Overeating, il a entrepris de comprendre cette force d’attraction qu’exercent les aliments gras, sucrés et salés.
Le Dr Kessler a répondu aux questions de Bonnie Liebman, de Nutrition Action1-2, par téléphone de San Francisco, en Californie.
Certains aliments gardent-ils plus que d’autres le cerveau en activité?
Dr David Kessler – Oui. Nous savons que le taux de dopamine bondit – et reste élevé – en réaction à des drogues comme la cocaïne ou les amphétamines. Mais avec la nourriture, on devrait obtenir normalement une légère élévation du taux de dopamine, suivie d’une accoutumance – c’est-à-dire que la nourriture devrait perdre sa capacité d’activer notre cerveau. Mais si on combine le sucre et les matières grasses, le cerveau ne s’accoutume pas. Et le taux de dopamine demeure élevé. Et si, en plus, on rend la nourriture encore plus multisensorielle, le taux de dopamine va aussi augmenter et le cerveau de certaines personnes ne développera pas d’accoutumance. Il continuera donc à s’activer à la vue de ces aliments.
Qu’entendez-vous par aliments multisensoriels?
Dr David Kessler – Je veux dire que la nourriture est plus complexe. Par exemple, la crème glacée combine le sucre, les matières grasses et le froid. Mais si on y ajoute des barres Skor, du chocolat au beurre d’arachide, genre Reese, des brisures de chocolat et du fudge chaud, cela en varie la texture, le parfum et la température. Plus la nourriture est multisensorielle, plus elle provoque un renforcement. Et plus on en reprend. Essentiellement, les matières grasses, le sucre et le sel sont des stimuli très importants. […]
Le sel nous pousse à manger davantage?
Dr David Kessler – L’industrie crée des plats destinés à répondre à 3 points critiques de satisfaction. Le sucre, les matières grasses et le sel sont ce qui rend la nourriture irrésistible et agréable. Les aliments les plus savoureux ont 2 ou 3 de ces caractéristiques. Ils provoquent une sensation de montagnes russes dans la bouche. C’est l’expérience orosensorielle totale. On devient prisonnier. […]
Alors, manger c’est comme être dans un manège?
Dr David Kessler – Si je vous donnais simplement du sucre en vous disant : « Amusez-vous bien », vous me trouveriez un peu bizarre. Mais si j’ajoute à ce sucre des matières grasses, de la texture, de la couleur, de la température, une sensation buccale, une apparence extérieure, une odeur, et que je le rends accessible en tout temps, à chaque coin de rue, puis que j’ajoute le vernis émotionnel de la publicité et que je vous dis que vous pouvez en manger avec vos amis, vous payer du bon temps, j’en fais alors un carnaval alimentaire et il devient difficile d’y résister.
Est-ce que tout le monde est également vulnérable à ces aliments?
Dr David Kessler – Non, mais pour le savoir, on peut poser aux gens ces 3 questions :
- 1. Perdez-vous le contrôle devant des aliments hautement savoureux? Est-il très difficile d’y résister?
- 2. Quand vous mangez, ressentez-vous un manque de satiété? Ressentez-vous le sentiment d’être rassasié?
- 3. Pensez-vous à la nourriture entre les repas? Ou pendant que vous mangez, pensez-vous à ce que vous allez manger ensuite?
Lorsqu’on pose ces questions, certaines personnes n’ont aucune idée de ce qu’on veut dire. Mais environ la moitié des obèses, 30 % des gens en surpoids, et 20 % des individus à poids santé ont un taux très élevé de réponses positives.
Ces gens sont-ils normaux?
Dr David Kessler – Oui. Nous ne parlons pas de troubles de l’alimentation, mais d’un écart normal. Il n’y a là aucune psychopathologie. Alors, lorsqu’on les additionne, cela donne environ 70 millions de Nord-Américains qui présentent ces caractéristiques. Ce n’est pas une maladie. C’est un syndrome que j’appelle l’hyperalimentation conditionnée.
Y a-t-il des preuves de ce qui se passe dans leur cerveau?
Dr David Kessler – Oui. Si on expose ces gens à des signaux – une image de chocolat, par exemple – et qu’on fait une tomodensitométrie (scanner) de leur cerveau, on constate une activation accrue dans une section du cerveau appelée l’amygdale. C’est là que nous traitons et emmagasinons les souvenirs d’émotions.
Manger ces aliments change-t-il notre cerveau?
Dr David Kessler – Oui. Chaque fois qu’on reçoit des signaux et que l’on consomme le stimulus, on renforce les circuits neuronaux et, la prochaine fois, on est plus susceptible de le refaire. Renforcer ces circuits, c’est ce que nous appelons l’apprentissage, même si nous ne parlons pas du même genre d’apprentissage conscient.
Cela explique-t-il pourquoi il est difficile de ne pas reprendre le poids perdu?
Dr David Kessler – Oui. Pourquoi les régimes ne sont-ils pas efficaces? Bien sûr, je peux priver quelqu’un en réduisant son apport calorique pendant 30, 60 ou 90 jours. Cette personne perdra du poids. Mais la privation augmente avant tout la valeur de gratification des aliments, à moins qu’on les remplace par quelque chose qu’on désire davantage. Et après la perte de poids, les vieux circuits sont toujours là. À moins qu’on ne les ait remplacés par des nouveaux – par un nouvel apprentissage -, si on revient dans son cadre habituel, on continue à être bombardé de signaux anciens, et bien sûr, on reprend le poids.
Parce que les vieux circuits demeurent?
Dr David Kessler – Oui. Et si je deviens stressé, fatigué, affamé, si j’essaie d’attraper un avion et qu’il n’y a rien d’autre, je vais tout de même m’emparer de ces bretzels enrobés de chocolat. Pour la plupart d’entre nous, il s’agit d’apprendre un nouveau circuit.
Lire la suite de l’entrevue : La désintoxication alimentaire devra passer par l’industrie, la pub et la politique
1. Liebman, Bonnie. Why we overeat, Nutrition Action Healthletter, Juillet/août 2009, vol. 36, no 6, pp. 3 à 6. Traduit de l’anglais. Reproduit avec l’autorisation du Center for Science in the Public Interest. ©Tous droits réservés. http://www.cspinet.org/nah/canada.htm
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